Professeur à l'université d'Amsterdam, le sociologue et géographe néerlandais Hein de Haas, un des fondateurs de l'International Migration Institute (IMI) à Oxford, analyse les «mythes» sur l'immigration dans le monde.
Dans son livre «How Migration Really Works» (Comment les migrations fonctionnent vraiment), à paraître en français au printemps, il considère que l'époque n'est pas une période de «migrations de masse».
Le mythe de «migrations de masse»
Le mythe le plus répandu est probablement qu'on vit dans une période de «migrations de masse« qui seraient essentiellement causées par la pauvreté, la violence et la «misère humaine». Et que ces migrations ont atteint une telle ampleur qu'elles menacent l'emploi, les services sociaux, la sécurité et l'identité de nos sociétés.
En réalité, l'ampleur de ces mouvements est moins grande qu'on ne le croit: les migrants représentent à peu près 3,4% de population mondiale et ce pourcentage n'a pas beaucoup changé pendant des décennies.
Fausses idées
Les réfugiés comptent pour environ 10% de tous les migrants internationaux, donc 0,35% de la population mondiale et, au-delà des fluctuations à court terme, cette part est relativement stable. Néanmoins, des politiciens extrapolent souvent les hausses à court terme des arrivées de réfugiés et migrants, en suggérant qu'elles présagent une future invasion.
La principale cause de l'immigration n'est ni la pauvreté ni la violence dans les pays d'origine. Au contraire, elle augmente à mesure que les pays pauvres deviennent plus riches car la migration est coûteuse et demande de l'ambition.
En réalité, la cause principale des migrations est la pénurie de main-d'œuvre dans les pays de destination. L'immigration est moins «subie» et plus «choisie» que ce que beaucoup de politiciens prétendent.
Le bouc émissaire
Aux politiciens qui les diffusent et les recyclent. L'immigration sert de bouc émissaire idéal face aux mécontentements exprimés par les sociétés (inégalités croissantes, précarité du travail, manque de logement abordable, érosion des services publiques...)
En réalité, ces problèmes ont été principalement causés par des politiques économiques «néolibérales» qui ont par exemple réduit la fiscalité des riches, baissé la protection des travailleurs, érodé les services publics, négligé le logement social.
La deuxième fonction politique du «mythe de l'invasion» est de permettre de mobiliser la peur et la haine vis-à-vis de certains groupes de migrants et de minorités. En présentant l'immigration comme une menace essentielle, les discours xénophobes exploitent nos peurs les plus profondes et permettent à certains politiciens de se présenter comme défenseurs de leurs peuples contre l'ennemi étranger.
Des flux irréguliers
A court terme, on observe des fluctuations en forte corrélation avec les cycles économiques. Au lendemain de la crise financière de 2008, les migrations vers l'Europe ont diminué pendant plusieurs années. En revanche, après celle du Covid, les pénuries de main-d'oeuvre sans précédent ont provoqué une hausse de l'immigration légale et illégale, tant vers l'Amérique du Nord que vers l'Europe occidentale.
Les flux de réfugiés sont très irréguliers, avec des pics temporaires en cas de guerres à proximité de l'Europe occidentale, comme en Syrie après 2005 et en Ukraine depuis 2022. Mais sur le long terme ces mouvements de réfugiés sont moins massifs qu'on ne le croit.
Faible migration en France
En Europe, c'est clairement l'immigration liée au travail qui a montré une tendance à la hausse depuis 2000. Le vieillissement de la population combiné à l'augmentation du niveau d'éducation a fait augmenter les emplois «précaires» que les travailleurs ouest-européens ne veulent plus ou ne peuvent plus occuper, dans des secteurs tels que l'agriculture, la construction, l'hôtellerie, la restauration, la livraison, le nettoyage...
Cependant, la France connaît une immigration relativement faible par rapport à d'autres pays. Les immigrés représentent environ 10% de la population française, contre 15 à 20% dans la plupart des pays d'Europe occidentale.
Oui. À l'échelle locale, l'immigration peut bien sûr engendrer des problèmes ainsi qu'un sentiment d'aliénation parmi les habitants d'un pays, en particulier si les gouvernements ne s'attellent pas à prévenir les problèmes de ségrégation dans certaines banlieues qui peuvent devenir des pièges à pauvreté. Il ne faut pas nier ces problèmes, mais ce genre de déclarations démagogiques ne font qu'alimenter l'hystérie collective et normaliser un discours toxique.