Ce sont des images que personne ne devrait voir. Des morceaux de corps qui gisent dans la rue. Des enfants morts, des femmes enceintes blessées. Blick renonce délibérément à montrer les pires images de la guerre en Ukraine. Mais les destins tragiques des civils doivent être racontés par la force des mots. Ils rendent l’inimaginable encore plus tangible, davantage certainement que les appels du président ukrainien Volodymyr Zelensky ou que les rapports sur l’avancée des combats.
Le «Guardian» a parcouru l’Ukraine et s’est entretenu avec des victimes des attaques russes. Elles dressent le portrait d’un adversaire qui tue sciemment des personnes au hasard et qui tente de censurer les rapports sur de tels actes.
«Ils l’ont abattu alors qu’il avait les mains en l’air»
Mykola* décrit comment les soldats russes ont pris le village d’Andriivka le 2 mars, à quelques kilomètres de Kiev. «Ils ont lancé des grenades le long des routes. Un homme a perdu sa jambe. Il est mort le lendemain». Ensuite, l’armée ennemie aurait couru le long de la route principale et aurait commencé à tirer sur les fenêtres des maisons d’habitation. Une femme aurait été touchée. «Mon frère Dymtro est arrivé dans la rue les mains en l’air. Ils l’ont frappé et l’ont abattu sur place».
L’épouse de Dymtro a assisté à l’exécution de son mari depuis sa fenêtre, rapporte le «Guardian». Elle aurait en outre vu ses voisins se faire tuer de la même manière. La fille de Dymtro, Yulia, suppose que ces personnes ont été tuées parce qu’elles avaient auparavant servi comme volontaires dans l’armée ukrainienne.
«Pendant les six prochains jours, vous serez bombardés»
«Le lendemain, les Russes sont allés de maison en maison. Ils ont confisqué des téléphones portables et des ordinateurs», raconte Mykola. Il n’y avait plus d’électricité. «Ils nous ont dit que c’était bien que nous ayons une cave. Ils nous ont demandé de faire des réserves d’eau, car nous allions être bombardés pendant les six prochains jours».
Les Russes n’auraient pas permis que Dymtro soit enterré dans le cimetière, raconte Mykola. Ils l’auraient donc enterré dans le jardin. Peu après, il y a eu une attaque au mortier, raconte Yulia. Les maisons voisines auraient commencé à brûler. Un soldat russe leur aurait dit de se cacher derrière son char, car c’était plus sûr. «Nous étions complètement terrifiés. Nous ne savions pas si c’était les Russes qui tiraient ou nos hommes. Nous nous sommes précipités à la maison et avons échappé de justesse à l’attaque au mortier.»
Les Russes tirent sur une voiture occupée par des enfants
Le 8 mars, les familles ont décidé de s’enfuir. Elles n’avaient toujours pas d’électricité, d’internet ou de téléphone. La femme de Dymtro a demandé aux soldats russes la permission de partir. Ceux-ci auraient alors tiré en l’air. Au même moment, les attaques au mortier s’intensifiaient, selon les témoins cités par le «Guardian». La famille a donc décidé de s’enfuir sans autorisation.
«Lorsque nous avons voulu partir, les Russes ont tiré sur notre voiture, bien que nous ayons collé des bouts de papier avec le mot 'enfants' sur les fenêtres du véhicule», raconte Yulia. «Mais cela ne les a visiblement pas empêchés.» Le père d’une famille qui s’était enfuie avec le groupe de Mykola aurait été abattu lorsqu’un soldat russe l’aurait vu en train de téléphoner dans son jardin. Yulia pose une question rhétorique: «Comment comprendre que des gens puissent être tués simplement parce qu’ils veulent faire savoir à leurs proches qu’ils sont en vie?»
Empêchés de contacter leurs proches
Lorsque les Russes sont entrés à Druzhnya, ils ont également tiré sur les maisons. C’est ce que rapporte Serhiy au «Guardian». «Je pense qu’ils ont fait cela pour ne pas être attaqués avec des cocktails Molotov». Selon lui, toutes les maisons le long de la route principale de Borodjanka à Makariw – dans la région de Kiev – ont été touchées. Des gens sont morts. Ensuite, les Russes ont fait du porte-à-porte. «Ils ont tué une enseignante qui était en train de nourrir ses poules».
Ils auraient dit aux gens de rester chez eux: «Si vous nous voyez, ne faites pas de mouvements brusques. Mettez vos mains sur la tête». Serhiy rapporte également qu’il n’y a pas d’électricité et que les Russes ont confisqué les téléphones de certains, de sorte qu’il n’y avait guère de possibilités de contacter les proches.
Le 10 mars, les Russes ont accepté de créer un corridor humanitaire pour l’évacuation des habitants de Borodjanka et des villages voisins. Selon Serhiy, les bombardements étaient encore plus violents ce jour-là. Le beau-frère de Serhiy a emprunté à vélo un chemin forestier pour vérifier qu’il était libre de tout Russe, ce qui était le cas. La famille a pu s’enfuir par la forêt.
Avis de recherche sur les réseaux sociaux
Les Ukrainiens tentent d’obtenir des signes de vie de leurs proches via les réseaux sociaux. Il existe des groupes Telegram et Facebook avec des dizaines de milliers d’utilisateurs et de messages.
Valeriiy travaille dans le domaine des ressources humaines et vit à Kiev. Lorsque la guerre a commencé le 24 février, il était dans sa maison de campagne dans le village de Lypivka, à l’ouest de l’Ukraine. Il raconte au «Guardian» avoir reçu de plus en plus de messages affolants lorsque les Russes sont arrivés dans un village voisin. «Les messages disaient à peu près ceci: 'S’il vous plaît, aidez-moi à trouver Ivan Ivanovich'. Avec une photo et une adresse. Le nombre de messages de ce genre ne cessait d’augmenter. J’ai commencé à avoir peur.»
Depuis le 1er mars, il n’y a plus de signal téléphonique ni d’électricité, mais on peut parfois capter un signal lacunaire à l’extérieur. «Soit les Russes ont bloqué le signal d’une manière ou d’une autre, soit c’est dû au manque d’électricité.» Heureusement pour lui, Valeriiy a réussi à s’échapper sous les tirs le 3 mars.
*Le «Guardian» a changé tous les noms des personnes concernées, Blick a repris les noms modifiés.
(Adaptation par Thibault Gilgen)