Les yeux qui se lèvent vers le ciel. Un ras-le-bol qui pointe dans chaque conversation. Des gestes insultants envers l’Etat et les magistrats. Et des attaques directes, de moins en moins voilées, contre l’incapacité des autorités françaises à venir à bout de cette menace du terrorisme islamiste qui continue de planer sur Nice, la ville endeuillée par le pire attentat de son histoire, commis le 14 juillet 2016.
Ceux qui espèrent refermer l’horrible parenthèse ouverte par le camion fou de 19 tonnes, jeté ce jour-là sur la promenade des Anglais par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, ont raison de ne pas trop y croire. Pour les rescapés de cette nuit tragique, et pour les parents des 86 personnes mortes ce soir-là – un tiers d’entre elles étaient musulmanes –, jour de fête nationale française, cette parenthèse de sang et de larmes ne se refermera sans doute jamais.
Six années d’attente
Impossible en tout cas, pour le procès qui s’ouvre ce lundi 5 septembre à Paris devant la cour d’assises spéciale, et qui fait comparaître ces huit individus ayant côtoyé le terroriste, de répondre aux multiples questions éludées, depuis six ans, par les enquêteurs. A Nice, où un autre attentat terroriste islamiste a eu lieu le 29 octobre 2020 dans la basilique Notre-Dame (trois morts, attaqués au couteau par Brahim Issaoui, interpellé et arrêté), ses six années d’attente ont été trop longues et trop désespérantes. Avec, au bout du compte, ce sentiment frustrant de n’avoir à partir de ce lundi dans le box des accusés que des délinquants sans importance, loin, très loin des cerveaux de Daech, l’Etat islamique (EI) qui a ensuite revendiqué l’attentat.
Le lieu d’abord. Il est symbolique, mais il est aussi de nature à attiser les frustrations des Niçois. C’est à Paris, dans l’ancien palais de justice et dans la même salle spéciale aménagée pour le procès des attentats du 13 novembre 2015, que se dérouleront les débats. Comme s’il s’agissait d’un procès bis, à près de mille kilomètres du lieu de la tragédie. Comme si ce rendez-vous judiciaire, avec 850 parties civiles et 64 jours d’audience programmés, était condamné à se dérouler dans l’ombre des neuf mois de débat précédents durant lesquels, au moins, un survivant des commandos terroristes a pu s’exprimer et répondre aux questions des magistrats et des parties civiles.
Redoutable faisceau d’interrogations
Il n’y a pas de Salah Abdeslam (condamné le 22 juin 2022 à la réclusion à perpétuité incompressible, peine dont il n’a pas fait appel) dans le procès de l’attentat de Nice. Seulement sept hommes et une femme – franco-tunisiens, tunisiens et albanais – dont trois sont renvoyés devant les juges pour «participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle». Aucun n’est accusé de «complicité». Les cinq autres sont poursuivis pour trafic d’armes. Ce qui, a priori, écarte la probabilité de très lourdes condamnations.
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Mais il y a surtout, plus encore que pour la tuerie du Bataclan et des terrasses parisiennes le 13 novembre 2015, ce faisceau redoutable d’interrogations. Pourquoi la promenade des Anglais, lieu éminemment touristique s’il en est, au bord de la Méditerranée, était aussi mal protégée, moins de huit mois après la tragédie survenue dans la capitale française? Pourquoi aucun représentant de la mairie de Nice ou de la préfecture des Alpes-Maritimes n’a été cité à témoigner durant le procès? Pourquoi la diffusion des images de vidéo surveillance du 14 juillet 2016 n’est pas encore acquise? A Nice, les victimes du terrorisme doutent aujourd’hui de la justice.
Le meurtrier n’avait reçu aucune instruction
Leurs doutes sont compréhensibles. Car contrairement aux attentats de Paris de 2015, l’horreur n’avait pas, ici, de commanditaire connu, identifié, traqué par les services spécialisés. Le procès V13 des attentats du 13 novembre a démontré que des erreurs policières, notamment en Belgique, ont permis aux commandos de passer entre les mailles du filet. La planification des terroristes était méthodique, en lien avec le commandement de l’EI en Syrie. Dur à entendre, mais clair.
Ici? Rien. Selon la presse française, Mohamed Lahouaiej Bouhlel «se distinguait davantage par sa perversité, sa fascination pour la violence et son instabilité psychologique que par son imprégnation idéologique». Il n’entretenait, avant son crime, aucun lien avec l’EI. Il n’avait reçu aucune instruction et n’a pas prêté allégeance à l’organisation terroriste. Le néant. Comme si ce «loup solitaire» avait sombré seul dans le précipice de la violence. Au risque d’être, demain, encore imité par d’autres…
La communauté musulmane, elle aussi frappée
Fallait-il, dans ces conditions, réserver à ce procès le même cadre que celui du 13 novembre, même si une retransmission vidéo sera assurée dans une salle du complexe Acropolis à Nice? Dans la ville azuréenne, la confrontation entre les accusés et les parties civiles, mais aussi le moment de vérité judiciaire pour la communauté musulmane elle aussi frappée, auraient été plus forts.
Toute une partie de la population niçoise en veut à la mairie. Beaucoup de musulmans locaux redoutent d’être stigmatisés, voire pris à partie durant ces prochaines semaines, alors qu’eux aussi ont souffert dans leur chair. Beaucoup de Niçois reprochent aux autorités locales d’avoir laissé l’islamisme radical se propager dans les quartiers.
Le nouveau procès français du terrorisme islamiste qui s’ouvre ce lundi sera celui du doute populaire à tous les étages. Les magistrats qui composent la cour d’assises spéciale auront aussi l’obligation d’y répondre.