L’heure du jugement, presque sept ans après la nuit d’horreur. Lorsque les cinq magistrats français de la Cour d’Assises spéciale chargée de juger les 20 complices des attentats parisiens du 13 novembre 2015 (quatorze présents dans le box des accusés, treize absents) pénétreront ce mercredi 29 juin dans la salle d’audience construite pour accueillir ce procès hors-norme dans le palais de justice de Paris, leur rendez-vous avec l’histoire sera assuré. 130 morts. Plus de 400 blessés. Une République blessée, attaquée par certains de ses propres enfants, devenus des djihadistes endurcis au début des années 2010 dans les rangs de Daech, l’État islamique.
Comment oublier ce que fut l’horreur du 13 novembre 2015, lorsque vers 21h30, la nouvelle des attentats du Stade de France commença à se répandre dans Paris, alors que les tueurs lâchaient leurs premières rafales au Bataclan, en plein concert des «Eagles of Death Metal», puis sur les terrasses parisiennes comme celle du café la «Belle Equipe», où 21 personnes trouveront la mort? Impossible.
Les neuf mois de procès, depuis le 8 septembre 2021, ne pourront jamais refermer le couvercle sur cette tragédie survenue après celle du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. C’est bien la France qui était visée. Retour sur un procès sans précédent.
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Une terreur organisée et commanditée
Le procès des attentats du 13 novembre 2015 a souvent fait la «une» des médias lorsque Salah Abdeslam, 32 ans, l’unique survivant des commandos terroristes de cette nuit d’horreur, était interrogé. Mais ce qu’il a révélé dépasse largement la personnalité de ce «convoyeur de la mort» dont le rôle, pendant les mois qui ont précédé la tuerie, fut de récupérer en voiture les djihadistes revenus de Syrie et de les acheminer, à travers l’Europe, de la Grèce jusqu’à Bruxelles où Abdelhamid Abaaoud, le chef de l’opération, préparait son forfait.
La frustration de ces neuf mois d’audience est qu’ils n’ont pas complètement permis de faire la lumière sur les responsabilités ultimes de ces attentats. Un nom a émergé: Oussama Atar, mort en novembre 2017 en Syrie, décrit par les policiers belges comme l’un des cerveaux des attentats et le recruteur des terroristes. Son frère, Yassine Atar, est l’un des accusés présents, pour lequel le parquet national antiterroriste a requis neuf ans de prison. Reste l’évidence: la décision de punir la France par une série d’attentats suicide est directement liée au rôle que celle-ci a occupé dans la guerre contre l’Etat islamique.
A chaque fois, les frappes militaires françaises au Levant sont revenus comme arguments de défense dans la bouche des principaux accusés. La terreur était bien organisée et commanditée. Manquent en revanche à l’appel, devant la justice ce mercredi, ceux qui ont avalisé, depuis l’Irak et la Syrie, ce plan d’attaque du Stade de France, du Bataclan et des terrasses. Mais le procès s’achève sans avoir reconstitué toute la chaîne d’ordres et de décisions.
D’évidentes erreurs des services de renseignement
Les failles les plus flagrantes révélées par ces sept mois de procès ont été celles de la police belge et de la sûreté, les services de renseignement fédéraux de la Belgique. Selon un rapport lu durant les audiences, les enquêteurs belges sont passés treize fois «à côté» de ceux qui ont frappé Paris le 13 novembre 2015. La cause? Des erreurs humaines, comme cela arrive toujours, mais aussi des carences en personnel qui ont entraîné l’interruption de filatures ou la non-convocation de suspects. Dès février 2015, des écoutes téléphoniques permettaient de relier Salah Abdeslam, son frère Brahim (qui s’est fait exploser le 13 novembre) et leur groupe d’amis du café Les Béguines de Molenbeek à Bruxelles. Mais rien n’a été fait pour les intercepter.
Un autre trou dans la raquette des services de renseignement, du cette fois à la malchance, est la non-arrestation d’Abdelhamid Abaaoud (tué par la police française le 18 novembre à Saint Denis) à Athènes, en Grèce, en janvier 2015. Un échec dû à une mauvaise transmission d’informations entre les polices belge et grecque.
Un procès pour l’exemple qui n’a pas déraillé
La justice française mérite d’être saluée pour ce tour de force. Organisé en plein Paris, au cœur de la capitale frappée par les terroristes, ce très long et très spectaculaire procès (1.800 parties civiles, 330 avocats) n’a jamais perdu la trace de l’essentiel: dire les faits, permettre aux victimes et à leurs proches de s’exprimer, tenter de cerner la vérité du côté des accusés. Tous les responsables politiques de l'époque ont été auditionnés, dont l'ancien président François Hollande.
La salle d’audience spéciale, bâtie pour l’occasion dans la salle des pas perdus du palais de justice de Paris, a pleinement joué son rôle. Les salles de retransmission vidéo aussi. Des caméras ont tout filmé, au titre des archives audiovisuelles de la justice. Leurs images seront disponibles à partir de 2072! Avant 50 ans en effet, tout usage de ces images doit être soumis à l’autorisation du président du tribunal judiciaire de Paris. L’exercice pédagogique, judiciaire et républicain a en tout cas réussi. Bientôt s’ouvrira dans les mêmes lieux et dans la même salle d’audience spéciale pouvant contenir 500 personnes, le procès des complices de l’attentat de Nice commis le 14 juillet 2016 par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, tué par la police. Son camion suicide, sur la promenade des Anglais, fit 86 morts et plus de 400 blessés.
Et maintenant, les jugements
La Cour d’Assises spéciale, composée de cinq magistrats, s’est retirée toute la journée de mardi 28 juin pour délibérer sur les peines requises par le Parquet national Anti terroriste, allant de cinq années de prison à la perpétuité incompressible pour Salah Abdeslam. L’emprisonnement à vie a été requis contre Mohamed Bakkali – déjà condamné à 25 ans de prison dans l’attentat contre le Thalys Paris-Bruxelles du 21 août 2015, Sofien Ayari, et Osama Krayem.
Les cas des «seconds couteaux», qui ont apporté une aide limitée aux commandos terroristes, sans connaître leur projet d’attentats, pourraient être examinés avec indulgence par les juges même si les procureurs ont tout fait pour démontrer leurs liens avec les crimes commis. La force du jugement du procès de «Charlie Hebdo» et de l’attentat contre l’Hyper Cacher, qui s’est tenu en janvier 2021, est que la justice avait alors été rendue de façon nuancée. Paradoxe: deux des accusés, Ali Oulkadi, Abdellah Chouah et Hamza Attou, qui comparaissaient libres, seront réincarcérés s’ils sont condamnés aux peines requises.