La Chine a mis ses menaces à exécution: une immense manœuvre militaire a débuté jeudi autour de Taïwan. L'île, distante d'environ 160 kilomètres de la Chine continentale, est pratiquement bloquée. Des exercices à balles réelles ont également lieu depuis vendredi.
Ces manœuvres sont la réaction de Pékin au voyage à Taïwan de Nancy Pelosi, cheffe de la majorité à la Chambre des représentants américaine. La numéro 3 des Etats-Unis a rendu visite mardi à la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, à Taipei, malgré les protestations de Pékin et les avertissements du président américain, Joe Biden.
Les experts s'accordent à dire que le risque d'une attaque militaire chinoise contre l'île taïwanaise démocratique est faible. «Personne n'a intérêt à ce qu'une guerre éclate», déclare à Blick Ralph Weber, spécialiste de la Chine à l'université de Bâle. Pourtant, ce scénario n'est pas à exclure.
Taïwan peut-elle se défendre seule?
Comment les Etats-Unis réagiraient-ils si le conflit s'envenime? Le président Joe Biden a réaffirmé en mai qu'il aiderait Taïwan en cas d'attaque chinoise. Il n'a toutefois pas précisé quelle serait la réponse militaire de Washington.
Pour l'expert en stratégie Mauro Mantovani de l'Académie militaire de l'EPF, le scénario le plus probable est que les Etats-Unis attendraient d'abord avant d'agir, et observeraient si Taïwan peut repousser l'attaque seule. «Il y a de fortes chances que ce soit le cas, car Taïwan se prépare depuis des décennies à une invasion chinoise avec des armes américaines de haute technologie», explique-t-il à Blick. Ainsi, Taïwan disposerait entre autres d'une série de moyens de défense anti-aérienne américains comme le Patriot et le Stinger.
Sinon, il y aurait probablement une réaction «sous-équivalente» des Etats-Unis. L'expert en stratégie entend par là une réaction militaire à une action militaire, mais à un niveau légèrement inférieur à la première frappe, ce qui doit «préserver la face, mais en même temps désescalader. Il pourrait s'agir par exemple d'un tir devant la proue d'un navire ou d'un avion chinois dès que celui-ci pénètre sur le territoire de Taïwan», estime-t-il.
Les USA pourraient opter pour des mesures de dissuasion
Pour Mauro Mantovani, le plus probable est que les menaces restent sans suite et que l'on en arrive à un blocus. Dans ce cas, il s'attend à ce que les Américains mettent en place un pont aérien et réagissent par des contre-menaces: «Il est envisageable qu'en mesure de dissuasion, un porte-avions américain passe à nouveau par le détroit de Taïwan.»
Cela s'est déjà produit de manière isolée au cours des dernières décennies. Par exemple en 1995, lorsque la Chine avait procédé à une série d'essais de missiles dans les eaux au large de Taïwan. Le gouvernement américain du président Bill Clinton avait envoyé des navires de guerre dans la région, dont plusieurs porte-avions, qui avaient traversé le détroit de Taïwan à titre dissuasif.
A l'époque, les Chinois avaient dû admettre qu'ils n'auraient eu aucune chance face à la force militaire américaine. Entre-temps, le rapport de forces a changé. Mauro Mantovani explique: «Ces dernières années, la Chine est parvenue à une quasi-parité avec les forces navales et aériennes américaines dans l'espace disponible du chapelet d'îles, de sorte qu'elle peut sérieusement menacer les actions américaines.»
Il n'est pas possible pour l'instant de juger jusqu'où la Chine ira encore ni comment les Etats-Unis réagiraient réellement. Mauro Mantovani l'assène: «Les deux parties n'ont aucun intérêt à créer une escalade de la confrontation, mais doivent sauver la face, ce qui rend la crise dangereuse.»
(Adaptation par Lliana Doudot)