Ils ont tout gâché. Ils ont, sans scrupule, sacrifié l’avenir de leurs petits-enfants, c’est-à-dire l’horizon d’un monde meilleur et plus vivable pour les moins de 35 ans. Ils? Les «boomers», tous ces Occidentaux nés après la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 70, aujourd’hui âgés de plus de 50 ans.
L’expression vient d’une remarque adressée, en 2019, par une jeune députée néo-zélandaise à l’un de ses détracteurs plus âgés au parlement de Wellington. «OK Boomer!», lâche-t-elle pour clouer le bec de son interlocuteur. La remarque devient virale sur les réseaux sociaux. Les «Boomers» sont, pour faire simple, les vieux qui n’ont pensé qu’à eux. Et voici qu’un bourreau français, de leur génération, a décidé de leur régler leur compte: l’essayiste François de Closets, 88 ans, pourfendeur jadis de ses compatriotes dans son livre best-seller «Toujours Plus», publié en 1982.
Le poids de l’égoïsme
Oui, ils ont tout gâché. Par égoïsme. Par peur de prendre des décisions douloureuses. Par paresse aussi. Le constat dressé par de Closets dans «La parenthèse Boomers – Réconcilier les générations» (Ed. Fayard) est implacable, et bien moins optimiste que son titre pourrait le laisser croire. De Closets parle surtout des français. Soit. Mais son constat vaut bien au-delà des frontières de l’hexagone. A la différence près qu’en France, une date symbolise selon lui tous les maux des «boomers»: Mai 1968. Révolution étudiante dictée par la soif de liberté? Oui, mais… «Mai 68 est d’abord une explosion d’égotisme écrit l’auteur. La contestation devient un état en soi, une identité. Elle affirme la suprématie de l’individu, de ses envies, ses jugements, ses pulsions, ses revendications et ses excommunications […] L’état contestataire supplée le vide des engagements.»
Réactionnaire de Closets? L’octogénaire passionné de chiffres, de courbes et de faits scientifiques a-t-il oublié que les boomers d’aujourd’hui, dont il est un exemple, voulaient faire sauter le couvercle d’un modèle de société patriarcal? Non. Mais il observe le résultat de cette contestation d’hier. Ces Français-là ont fait prévaloir leur intérêt sur tout le reste. «Ils se sont fait un pays à leur image, qui suit l’humeur du moment, et certainement pas une idée de la France, par trop contraignante. L’air du temps est devenu la nouvelle règle constitutionnelle de la génération boomer. Les Français l’ont emporté sur la France. C’est l’intérêt individuel qui prévaut sur le bien commun, l’instant sur la durée, la génération en place sur les générations à venir». Fermez le ban! L’acte d’accusation est prêt: «Les boomers ont troqué l’autorité contre le pouvoir, abandonnant les moyens de gouverner pour ne préserver que les privilèges.»
Le procès d’une génération
Pourquoi ouvrir le procès contre cette génération des baby-boomers, dont les parents eurent, eux, à souffrir les malheurs de la guerre? N’est-ce pas là céder à un effet de mode facile, alors que la déferlante de l’Internet et des réseaux sociaux au sein des jeunes générations rend peut-être celles-ci bien plus égoïstes et aveugles aux douleurs sociales que les précédentes?
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Entre autres parce que la pandémie de Covid est passée par là. François de Closets enrage contre des mesures de confinement taillées sur mesure pour les «seniors» dont il fait partie: «Pour supporter le poids des crises sanitaires comme des crises économiques, la mentalité des boomers conduit toujours à faire passer les seniors avant les juniors, à protéger le passé. Quitte à offenser l’avenir». Et de dénoncer, ensuite, «l’idéologie du déficit» et de «la vie à crédit» qui caractérise selon lui ces maudits boomers, surtout lorsqu’ils sont Français et aux manettes de l’Etat providence républicain…
Des sociétés qui semblaient sans limites
Oui, les boomers ont tout gâché. Parce qu’ils ont grandi dans des sociétés démocratiques qui semblaient ne pas connaître de limites et qu’ils ont ignoré les avertissements démographiques. «Nous avons vécu ce demi-siècle en feignant d’ignorer le phénomène générationnel, que nous avons réduit au paiement des retraites, écrit François de Closets. Or ce refus de voir et de savoir n’est plus de saison. Nous arrivons à une nouvelle phase de la révolution démographique qui va subvertir notre organisation sociale […] La vague blanche arrive. Il faut maintenant voir comment elle va changer nos sociétés».
Tel est le «bug» principal. Il tient moins aux mentalités passéistes, ou à l’égoïsme invétéré des générations de l’après-guerre qu’au retournement de la natalité, et à l’épuisement des ressources naturelles de la planète. Les boomers paient d’abord le prix de la parenthèse de prospérité des années 1950-1990!
Inventer une société du vieillissement
Alors, que faire? S’en prendre aux boomers et les accuser de tous les maux car cette génération a «reporté sur la jeunesse tous les aléas de l’économie»? François de Closets est un bourreau saisi par le doute. Un bourreau très français surtout, qui exprime avant tout son inquiétude pour son pays, qu’il juge en fort mauvaise posture. Son propos est donc une interpellation: «Il nous faut inventer une société du vieillissement faisant cohabiter harmonieusement cinq générations: les enfants, les adolescents, les actifs, les seniors et les vieux» juge-t-il. «Nous suivons depuis un demi-siècle la voie d’une hyperindividualisation égoïste, alors qu’une solitude dynamique seule peut éviter que la lutte des classes se doublée d’une lutte des générations». Facile.
Après la parenthèse du gâchis, la grande réconciliation et le grand pardon? Allez, vous l’aviez compris: l’auteur de ces lignes est un boomer. Alors, oui au message d’espoir et de compréhension mutuelle. Car de toute façon, et malgré les ravages causés, les boomers ne sont pas encore près de disparaître.
A lire: «La parenthèse Boomers – Réconcilier les générations» (Ed. Fayard)