Un Etat moins généreux
Les chômeurs français sont sommés d'aller travailler

Emmanuel Macron l’a confirmé lors de son intervention télévisée du 14 juillet. Pour atteindre le plein-emploi en France, une nouvelle réforme de l’assurance chômage est indispensable. Le dossier s’annonce explosif.
Publié: 15.07.2022 à 18:35 heures
|
Dernière mise à jour: 16.07.2022 à 17:49 heures
Durée d'indemnisation, montant des allocations, obligation de rechercher un emploi... Le gouvernement français veut agir sur tous ces leviers pour réformer l'assurance chômage. Mais est-ce vraiment possible?
Photo: DUKAS
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Qui est coupable? Impossible, en France, de tenir une conversation sur le thème de l’emploi, du travail et du système d’indemnisation chômage – l’un des plus généreux en Europe – sans déboucher sur un procès et une salve d’accusations.

Du côté des employeurs, dont Emmanuel Macron a épousé les thèses lors de son intervention télévisée du 14 juillet pour justifier la nécessité d’une «réforme du travail» cet automne, embaucher du personnel est devenu pire qu’un casse-tête: presque un cauchemar. 71% des patrons disent, selon une enquête du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) connaître des problèmes de recrutement, qu’ils attribuent le plus souvent au manque de motivation des candidats. Les patrons posent les questions qui fâchent. Et elles ne sont pas nouvelles dans un pays qui consacre plus de 66% de son produit intérieur brut à la dépense publique, record européen.

Pourquoi travailler?

Ces questions? Pourquoi travailler, lorsque l’assurance chômage vous permet de percevoir des indemnités jusqu’à 24 mois pour les moins de 53 ans, 30 mois pour les salariés de 53-54 ans et 36 mois pour les plus de 55 ans? Pourquoi les jeunes français de moins de 35 ans auraient envie de rejoindre une entreprise alors que depuis la dernière réforme de 2020-2021, quatre mois de salariat ininterrompu suffisent pour être indemnisés en cas de rupture de leur contrat de travail? Pourquoi, enfin, faire des efforts pour demeurer dans une entreprise alors qu’il est possible, en France, de démissionner puis d’être indemnisé, via la rupture conventionnelle crée en 2008 sous la présidence Sarkozy? Merci l’Etat providence! Et tant pis s’il décourage l’envie de travailler.

Dénonciation d’une nouvelle offensive «ultralibérale»

Refrain inverse du côté des employés et des syndicats supposés les représenter (même si la France est le pays le moins syndiqué de l’Union européenne avec 8% des salariés syndiqués dans le privé, 19% dans le public, 5% seulement des ouvriers et… 3,5% dans les petites entreprises). Pour eux, la promesse d’Emmanuel Macron de s’attaquer de nouveau à l’assurance chômage est une hérésie. Ils assimilent toute tentative d’en diminuer les bénéfices et la durée, de remettre en cause la facilité de déclaration (un clic à distance sur internet suffit) ou d’accroître les contrôles, à une nouvelle offensive «ultralibérale».

Recours abusif aux CDD

Ces opposants à la réforme du travail ont des arguments. Ils pointent notamment du doigt le recours abusif des patrons aux contrats à durée déterminée de quelques semaines, les fameux CDD, qui encouragent de facto les salariés à pointer au chômage entre deux missions. Jugez plutôt: les contrats de moins d’un mois ont été multipliés de presque 200% en vingt ans, depuis l’an 2000! Autre reproche adressé aux entreprises: le bas niveau des salaires. Le salaire moyen d’une caissière de supermarché, en France, est d’environ 1700 euros par mois. Contre environ 4000 euros mensuels en Suisse. Juste un exemple parmi tant d’autres. Normal, dans ces conditions, que le système d’indemnisation chômage soit généreux. Une éloquente enquête dessinée récemment publiée résume tout cela sous le titre «Le choix du chômage» (éd. Futuropolis).

L’argument du possible «plein-emploi»

Emmanuel Macron et son ministre des Finances Bruno le Maire ont toutefois décidé de foncer dans le tas en cette rentrée 2022 en invoquant un argument massue: l’objectif d’un possible «plein-emploi» qui consisterait, en France, à voir le chômage passer en dessous des 5% de la population active durant le quinquennat (contre environ 8% en 2021). Pourquoi? Parce que les courbes de l’économie française sont devenues intenables. D’un côté, une dette publique à un niveau record proche de 115% du PIB, alors que les taux d’intérêt remontent dangereusement. De l’autre, deux déficits consécutifs de l’Unédic (l’assurance chômage) de 17,5 milliards d’euros en 2020 et 10 milliards en 2021.

Pas question, dès lors, de laisser filer la reprise économique et la nécessité de remettre les gens au travail, seule solution pour renflouer les caisses fiscales et sociales du pays menacé par l’augmentation de l’inflation et des prix de l’énergie. Avec, dans le collimateur, trois changements: une modulation des indemnisations en fonction de l’état du marché du travail (plus l’économie embauche, moins les chômeurs seront indemnisés), une obligation d’assurer un minimum d’heures de travail pour les allocataires du RSA, le minimum social (entre 500 et 900 euros selon les tranches d’âge) et une réforme de la formation axée sur «l’employabilité», à l’image de l’accélération des contrats d’apprentissage (730’000 en 2021, un record).

Vu de Suisse, des priorités logiques et souhaitables

Vu de l’étranger, en particulier de Suisse, de telles priorités sont économiquement logiques et souhaitables. D’autant que les statistiques sont trompeuses. Les chiffres officiels parlent de 2,7 millions de chômeurs français, alors que leur nombre total, toutes catégories confondues, est plutôt proche de 5 millions (sur environ trente millions d’actifs). «Il faut en finir avec le chômage comme choix de société», répète depuis des années le Prix Nobel d’économie Jean Tirole. Sauf que la remise en cause des acquis sociaux est, en France, une bombe atomique politique. Aucun gouvernement, y compris sous la présidence Sarkozy, n’a par exemple osé remettre en cause la très controversée réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures instaurée par la gauche en 2000. Les possibilités d’aménagement se sont multipliées, mais personne ne s’y est attaqué de front.

La bataille annoncée pour la réforme du travail se réduira-t-elle, devant une Assemblée nationale – où la gauche radicale et la droite nationale populiste exigent au contraire davantage de l’État pour faire face à la crise – à un tir de barrage? Emmanuel Macron aura-t-il le courage d’aller, en cas de blocage, vers un possible référendum qui pourrait aussi inclure son projet de réforme des retraites pour allonger la durée de cotisation? Ces questions sont posées. La défense du plein-emploi, en France, reste un volcan social.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la