Rumeurs turques sur l'attentat de Moscou
Le porte-parole d'Erdogan soupçonne les services secrets étrangers

Alors qu'en Russie, on fait la chasse aux migrants d'Asie centrale, la Turquie continue de faire mijoter la théorie du complot d'un puissant pays tiers qui aurait organisé et payé l'attentat dans la salle de concert en banlieue moscovite. Mais de quoi s'agit-il?
Publié: 30.03.2024 à 13:13 heures
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Dernière mise à jour: 30.03.2024 à 13:41 heures
Ömer Celik s'est exprimé sur l'attaque terroriste de Moscou.
Photo: KEYSTONE
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Myrte Müller

La propagande russe ne peut pas passer à côté de cela. Des Tadjiks ont été envoyés par l'«Etat islamique de la province du Khorassan» (EI-K) le 22 mars dans la salle de concert Crocus City Hall pour tuer autant de chrétiens que possible. Le bilan actuel de l'attentat est de 144 morts et 360 blessés. Près de 91 personnes sont toujours portées disparues.

L'organisation terroriste islamiste a revendiqué l'attentat à plusieurs reprises, documentant l'horreur par des vidéos et des photos. Même Vladimir Poutine a dû reconnaître, après de longues hésitations, que l'acte avait été commis par des extrémistes religieux.

Le Kremlin s'en tient néanmoins à une autre théorie. L'Ukraine aurait commandité l'attaque et serait complice des terroristes. Selon les médias locaux, Poutine a déclaré qu'il doutait que les islamistes radicaux puissent commettre des crimes pendant le mois de ramadan. Et que seul l'Occident profiterait de l'attentat. L'Ukraine en tête.

La Turquie alimente la théorie du Kremlin

Après l'attentat, le chef du Kremlin a déclaré à la télévision nationale que Kiev avait laissé une fenêtre ouverte au poste-frontière pour que les quatre tireurs puissent s'enfuir vers l'Ukraine. La commission d'enquête russe a annoncé sur Telegram que les terroristes avaient reçu d'importantes sommes d'argent en crypto-monnaie d'Ukraine et qu'ils étaient en lien avec des «nationalistes ukrainiens».

La Turquie a également jeté de l'huile sur le feu. Ömer Celik, porte-parole du Parti de la justice et du redressement (AKP), a déclaré jeudi à la chaîne de télévision turque NTV: «Un attentat mené de manière aussi professionnelle ne peut pas être préparé sans le soutien des services secrets d'un Etat puissant. De tels attentats ont toujours des sponsors qui veulent alimenter les conflits.» Mais de quel Etat le porte-parole du parti au pouvoir AKP parle-t-il? L'Iran? Ou du Pakistan? Les deux pays soutiennent certes les djihadistes dans leurs actions terroristes, mais sont depuis peu eux-mêmes des cibles de l'EI-K.

«Les terroristes de l'EI sont contrôlés par l'Occident»

Cette déclaration est-elle, au contraire, un cadeau à Poutine, avec lequel la Turquie veut désormais coopérer étroitement dans la poursuite du terrorisme? Il est peu probable que Recep Tayyip Erdogan dénonce directement l'Ukraine. Il se plaît dans le rôle de médiateur de paix, a déjà réussi à conclure des accords sur les céréales et à échanger des prisonniers. La Turquie veut faire des affaires à l'avenir, avec Moscou et Kiev. Un échange commercial de dix milliards de dollars américains est d'ailleurs prévu avec l'Ukraine.

Sur X, Ömer Celik continue de pointer du doigt l'Occident. L'homme de l'AKP note que les Etats-Unis ont encouragé l'attentat en Russie en adoptant une position pro-israélienne sur la violence à Gaza et qu'ils poursuivent leur politique de massacres. Sur la même plateforme, le porte-parole des talibans Suhail Shaheen tonne: «Les positions de l'EI sont en dehors de l'Afghanistan et sous le contrôle des services secrets occidentaux.» Par le passé, les talibans avaient régulièrement accusé les Etats-Unis d'utiliser l'EI-K pour commettre des attentats.

Chasse aux Tadjiks, Ouzbeks et Kirghizes

Tandis que la commission d'enquête rassemble des «preuves» contre l'Ukraine, la chasse ouverte aux Tadjiks, aux Ouzbeks et aux Kirghizes est en cours en Russie. Leurs pays autocratiques sont certes des alliés de Moscou, mais l'EI-K peut recruter avec succès des guerriers au sein de leur population musulmane pauvre.

Depuis l'attentat du 22 mars, les habitants de l'Asie centrale sont régulièrement arrêtés dans les aéroports russes, déplore la militante des droits de l'homme kirghize Aziza Abdirasulova auprès de Radio Free Europe/Radio Liberty. Eurasianet fait également état de harcèlement et de menaces à l'encontre de ces populations par les forces de l'ordre.

Les agences de presse russes Tass et Astra fournissent des exemples. Elles confirment que des contrôles d'identité dans des entreprises où des policiers frappent des Tadjiks à coups de matraque sont en cours. Des vidéos d'arrestations massives circulent sur Telegram.

Le pouvoir n'est pas le seul à agir brutalement. Selon les rapports, la population s'en prend aussi à ses concitoyens d'Asie centrale. À l'est, à Blagovechtchensk, un café tadjik a été incendié. À Kaluga, à l'ouest de la Russie, trois Tadjiks ont été passés à tabac. Et à Moscou, un barbier qui employait l'un des terroristes présumés arrêtés a dû appeler la police parce qu'une foule menaçait de le lyncher.

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