Le gouvernement de Pékin devient nerveux: les protestations, qui ne rassemblent actuellement que quelques dizaines de milliers de participants, pourraient s'étendre. Le gouvernement chinois a chargé des forces spéciales de réglementer Internet encore plus fermement. Mais il n'est pas certain que cela suffise à briser la résistance: le mouvement contre le régime des mesures Covid n'a pas de leader. Et le nombre de vidéos et de photos sur les actions menées, avec des pages blanches comme symboles de la répression, rend difficile leur effacement de la toile.
L'empire du président Xi Jinping peut donner l'impression d'être une forteresse imprenable, mais des experts chinois qui souhaitent rester anonymes ont déclaré au «New York Times» que le Parti communiste n'avait pas assez ni de personnel, ni d'équipement technique pour maîtriser la situation.
Certes, les forces de sécurité ont réussi à repérer les manifestants par reconnaissance faciale et à les intimider personnellement - tous ne portaient pas de masque. Mais beaucoup se sentent dans leur droit de réclamer la liberté d'expression et de la presse, la démocratie et l'État de droit. En outre, de nombreuses personnes qui avaient jusque-là sympathisé avec la dictature font preuve de compréhension pour les manifestations et soutiennent leurs objectifs.
Dans les rues et sur les places, on entend depuis plusieurs jours des cris tels que «La Chine n'a pas besoin d'un empereur», «Nous voulons voter, nous ne voulons pas d'un dirigeant» ou «Nous voulons être des citoyens, pas des esclaves». Depuis la fin sanglante du mouvement démocratique de 1989, la dictature du parti communiste chinois n'avait plus été défiée avec autant de détermination.
Jusqu'à 735 marches recensées depuis la mi-mai
Depuis la mi-mai, les organisations non gouvernementales ont recensé jusqu'à 735 marches ou rassemblements dans tout le pays - les gens protestent contre les banques et les promoteurs immobiliers qui ont joué leurs économies, contre les conditions de travail déplorables ou parce qu'ils ne touchent pas leur salaire. Avec un taux de chômage des jeunes de 20%, la nouvelle génération chinoise est également en colère contre le dirigeant Xi Jinping. Ce qui, lors du 20e congrès du parti il y a un mois, donnait l'impression que l'homme de 69 ans avait tout sous contrôle était une mascarade et de la propagande. Le peuple en a assez du contrôle et de la tutelle du parti d'Etat.
Les gens ne manifestent pas en premier lieu pour un système multipartite ou des élections libres et équitables. Nombreux sont ceux qui pensent que la République populaire pourrait évoluer dans le cadre de l'ordre sous lequel ils ont vécu aussi longtemps qu'ils s'en souviennent. Mais tout le monde prend aussi conscience que c'est Xi Jinping qui leur a retiré le peu de liberté qu'ils avaient.
Rôle central de la «sécurité»
Lors du congrès du parti qui l'a proclamé président pour la troisième fois, le dirigeant a souligné que la «sécurité» jouerait le rôle principal dans sa politique. Ce terme a été utilisé pas moins de 91 fois dans son discours. Son objectif est de renforcer l'appareil de sécurité et d'endoctriner davantage la population de l'Empire du Milieu: il ne veut même pas que leur vienne à l'idée le fait de le critiquer, lui et le parti qu'il a rendu docile.
Mais ce calcul ne fonctionne pas. Entre autres parce que les Chinois n'ont pas forcément besoin de l'Internet centralisé pour s'organiser. Car actuellement, ils vivent tous la même chose: près de 400 millions d'entre eux sont toujours enfermés et fatigués des tests permanents. Ils n'ont même pas pu voir les images de la Coupe du monde de football au Qatar sans filtre jusqu'à présent: les dirigeants ont fait couper les comptes rendus des matchs. Car sur les écrans, on ne pouvait pas montrer qu'il ne fallait plus porter de masque dans les gradins au Qatar.
Une légère amélioration des mesures
Cela a néanmoins changé: même la télévision chinoise montre désormais des supporters de football non masqués. Une légère modification des restrictions Covid-19 devrait permettre de rendre les protestations plus rares. Dans le même but, les vacances du Nouvel An ont été avancées dans de nombreuses universités. Mais chacune de ces mesures comporte un risque pour Xi Jinping, qui a fait de sa politique «zéro Covid» un étau sans alternatives.
Si les protestations devaient conduire le gouvernement à faire marche arrière, même de manière minime, le dirigeant pourrait perdre la face. Au sein du parti, les rangs semblent jusqu'à présent bien serrés. Les fonctionnaires qui viennent d'accéder à de nouvelles fonctions en octobre grâce à leur loyauté envers Xi Jinping devraient tout mettre en œuvre pour que son pouvoir ne soit pas remis en question et que leur grand bienfaiteur ne soit pas dupé.
Peu avant le début des célébrations d'octobre, un courageux manifestant a déployé une banderole sur un pont de Pékin, exigeant le retrait de Xi Jinping de toutes ses fonctions. L'acte de bravoure de celui qui est appelé «Bridge Man» sur les réseaux sociaux a été salué par des coups de klaxon et applaudi sur Internet.
Six semaines plus tard, la protestation d'un seul homme a atteint plusieurs dizaines de milliers de personnes. Dans quelques semaines, ils pourraient être des centaines de milliers, dans quelques mois des millions, à faire comme l'homme sur le pont. Même les grands mouvements commencent parfois modestement. Les habitants de la République populaire ont en tout cas déjà goûté à la liberté.
Alexander Görlach est Senior Fellow au Carnegie Council for Ethics in International Affairs à New York. Il a récemment publié son livre «Alerte rouge: pourquoi la politique étrangère agressive de Pékin dans le Pacifique occidental mène à une guerre globale».
(Adaptation par Lliana Doudot)