Vue de loin, depuis Lausanne, Bruxelles ou Paris, la guerre en Ukraine n’a rien à voir avec celle que l’on découvre sur le terrain, au plus près des combats et des populations affectées par ce conflit. Rien! À quelques jours du sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet à Vilnius (Lituanie), lors duquel les alliés devront se prononcer à la fois sur leurs futures livraisons d’armes et sur les garanties de sécurité données à Kiev, voici les 5 leçons que j’ai ramenées du Donbass toujours en proie aux combats et sous le feu des artilleries russes et ukrainiennes.
Leçon 1: N’oublions pas les victimes de la guerre!
Les visées stratégiques et géopolitiques sont toujours faciles à expliquer et à décortiquer de loin. Mais cette guerre en Ukraine broie au jour le jour des populations qui paient de leurs vies le prix de ce conflit fratricide entre Moscou et Kiev. J’ai, partout, parlé aux Ukrainiens que je rencontrais avec l’aide, bien sûr, d’un interprète. Et partout, les deux mêmes réponses m’ont été faites: l’Ukraine doit se défendre, mais la paix est urgente. Cette guerre très coûteuse en vies humaines – on parle de 100'000 morts des deux côtés.
Le slogan «Gloire à l’Ukraine» (Slava Ukraini) ponctue les conversations. Le moral des troupes est bon. L’actuelle contre-offensive est considérée comme justifiée pour repousser les «orques», le surnom donné aux soldats russes. Mais à l’évidence, le pays se divise. Kiev et les autres grandes villes, protégées par les batteries anti-missile livrées par les Occidentaux, ne subissent plus autant qu’avant les frappes russes, même si le 6 juillet, plusieurs personnes ont péri à Lviv (ouest) après un tir de missile. L'épuisement des soldats se fait aussi sentir. Comment tenir le pays uni derrière son armée? Le défi politique est majeur pour Volodymyr Zelensky.
Leçon 2: L’État ukrainien tient bon
C’est une leçon apprise dans la plupart des conflits que j’ai eu l’occasion de couvrir. Très souvent, les populations les plus exposées à la guerre, celles des premières lignes, râlent contre l’arrière, la corruption de la capitale et les manœuvres politiques qui se trament dans leur dos, pendant que les morts s’accumulent. Je n’ai pas eu ce sentiment en Ukraine.
L’administration dirigée par le président Zelensky est perçue comme professionnelle, et au service du pays. Le mot «corruption» revient bien sûr dans les discussions, mais finalement assez peu. Les services publics fonctionnent, avec comme figure de proue les chemins de fer. Les routes endommagées par les obus sont rapidement réparées. La numérisation de nombreux services est effective. Et le débat est ouvert, malgré la propagande des autorités, naturelle et normale dans cette période de conflit.
Leçon 3: L’Ukraine est de plus en plus européenne
Là aussi, il faut regarder les faits. Et lorsqu'on est sur place, ils sont évidents. Ce conflit de haute intensité, parfois digne de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, est en train d’européaniser l’Ukraine à grande vitesse. Le gouvernement, perfusé à l’aide internationale, sait qu’il doit impérativement réformer l’administration et les services publics pour avancer vers son accession à l’Union européenne, désormais acquise à terme.
Les huit millions d’Ukrainiens réfugiés dans les pays de l’UE sont désormais un trait d’union, physique et moral entre leur pays et l’Union. On peut discuter de l’impact qu’aura la future intégration de l’Ukraine dans l’UE, et de l’instabilité qu’elle risque d’engendrer pour la communauté. Mais pour la grande majorité des Ukrainiens, leur destin est scellé. Il est à l’ouest, pas aux côtés de la Russie.
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Leçon 4: L’issue des combats dépendra de l’armement
Ce conflit est aujourd’hui une guerre de positions. Chacun s’est retranché, notamment les Russes, experts en défense et résolus à ne pas se laisser de nouveau surprendre par la contre-offensive ukrainienne comme ce fut le cas à l’automne 2022. L’issue de la seconde contre-offensive, menée actuellement, va donc dépendre de la qualité et de la puissance de l’armement engagé.
C’est pour cela que les livraisons d’armes à l’Ukraine par ses alliés sont si importantes. Les batteries antimissiles protègent les villes des frappes russes. Les tanks modernes permettent de percer les défenses. Question: pourra-t-on longtemps continuer de refuser à l’Ukraine les avions de combat qui lui donneraient un avantage tactique supplémentaire? Peu probable. De ce point de vue, le sommet de l’OTAN à Vilnius sera déterminant.
Leçon 5: Vladimir Poutine demeure une menace
La tentation naturelle des pacifistes de tous bords est d’exiger un règlement négocié d’urgence, pour que ce conflit s’achève, avec son cortège de souffrances. Mais il faut toujours redire qui est l’agresseur, et qui a conquis une partie du territoire d’un État aux frontières internationales reconnues.
Le 24 février 2022, Vladimir Poutine a choisi la force en lançant ses troupes sur Kiev, avec la volonté d’y changer le gouvernement, et d’imposer ses vues à ses voisins européens, tout en s’efforçant de déstabiliser l’UE et les démocraties à force de «trolls» sur les réseaux sociaux et de manipulation médiatique. Cette donne-là n’a pas changé.
L’élément nouveau, dont personne ne mesure aujourd’hui exactement la portée, est la fissure apparue dans son pouvoir lors de la rébellion de la milice Wagner. Là aussi, le sommet de l’OTAN à venir devrait apporter des réponses sur la stratégie occidentale vis-à-vis de la Russie où la prochaine élection présidentielle aura lieu en mars 2024.