Nulle part ailleurs en Syrie, le tout et le rien ne sont aussi proches qu'à Idlib. Des maisons bombardées le long d'une route d'un côté, un nouveau centre commercial de l'autre. Des motos polies tout juste sorties de l'usine, non loin d'un alignement de tentes.
C'est ici que se produit à petite échelle ce qui pourrait bientôt attendre toute la Syrie. Depuis 2017, la province du nord du pays est sous le contrôle du mouvement islamiste Haiat Tahrir al-Cham (HTS). Depuis la semaine dernière, elle revendique la totalité du pays.
Idlib est passée de deux à sept millions d'habitants
Rami Jampus sert du thé sucré dans des gobelets sur un plateau doré. Nous sommes assis dans le bureau de son garage automobile – dans un coin se trouve un aquarium, dans l'autre un Coran, aussi doré.
«Nous avons commencé il y a dix ans avec peu de voitures», raconte Rami Jampus. Sa famille vient de Homs, une ville située à mi-chemin en direction de Damas. Ils ont fui les troupes d'Assad en 2013 – comme des millions d'autres. La région d'Idlib comptait environ deux millions d'habitants avant la guerre civile. Actuellement, ils sont sept millions.
Ces dernières années, le business de Rami Jampus a connu une croissance fulgurante. Sous le gouvernement local de HTS, il payait des impôts beaucoup plus bas que dans les régions contrôlées par les troupes d'Assad. Jampus raconte: «Le HTS paie l'électricité pour notre entreprise. Il veut ainsi soutenir l'économie locale.» Désormais, le garagiste vend aussi des voitures électriques. La BMW blanche, par exemple, coûte 40'000 dollars.
«Vous êtes les bienvenus pour jeter un coup d'œil. Mais nous n'avons rien. Ici, vous ne trouveriez même pas dix lires (0,00069 franc suisse)», dit Ayla Hamdan en soulevant le rideau de sa tente. Elle vit ici depuis sept ans. Elle chauffe le four de sa tente avec des emballages en plastique que ses petits-enfants ramassent dans la rue. Elle prépare ses repas sur un feu ouvert. «Les conditions sont très difficiles. J'ai perdu trois enfants sous les bombes du régime. Mes fils sont à Damas, ils ont pris la ville avec les rebelles et ont libéré des prisonniers.»
Autrefois, elle vivait dans une belle maison. Et le passé ne lui manque pas: «Dans le village où nous vivions, les troupes d'Assad ont emmené quatre filles. Elles sont revenues et étaient enceintes.»
Contrairement au garage de Rami Jampus, Ayla Hamdan et sa famille ne reçoivent aucune aide financière. Mais «lorsque nous sommes malades, ils nous soignent à l'hôpital, même si nous ne pouvons pas payer», explique la femme de 75 ans.
L'aide d'une organisation humanitaire suisse
Les personnes vivant dans les camps dépendent des organisations internationales. L'association suisse For Children Smile a construit un orphelinat et une école à Idlib. «Sans aide extérieure, ces enfants n'auraient rien», explique la directrice Emine Tas.
Dalal Darwish vit avec ses enfants dans l'une des cabanes du domaine de l'orphelinat. Son mari est mort à la guerre. «Nous manquons du strict nécessaire. Parfois, nous n'avons pas assez à manger. Nous sommes constamment malades», raconte-t-elle.
Pourtant, autour d'elle, l'économie est florissante: de nouveaux quartiers pour les commerçants voient le jour, des centres commerciaux ouvrent leurs portes. Mais Dalal Darwish préfère ne pas s'en plaindre: «Ce que Allah veut arrive», dit-elle simplement.
Une organisation terroriste?
Aide financière ou pas, Ayla Hadman qualifie le chef des rebelles de HTS et le chef d'Idlib, Abou Mohammed al-Joulani, de héros du peuple. «Allah vient d'abord, puis al-Joulani», s'exclame-t-elle. Désormais, le chef rebelle dirige les nouvelles autorités syriennes à Damas.
Aux Etats-Unis et dans l'UE, le HTS est considéré comme une organisation terroriste. Lorsqu'elle a pris le pouvoir dans la région il y a huit ans, les membres de la minorité chrétienne ont fui à l'étranger ou dans des régions contrôlées par Bachar al-Assad. De nouvelles familles se sont installées dans leurs maisons. Les organisations de défense des droits de l'homme ont parlé d'expropriation forcée.
Mohanned Dallah s'oppose à cette présentation: «Des millions de personnes ont fui à l'intérieur de la Syrie, se sont installées dans des logements abandonnés. Cela n'a rien à voir avec la religion.» Depuis des années, le leader du HTS, Abou Mohammed al-Joulani, tente de se débarrasser de l'image d'extrémiste islamiste. Il promet de protéger les minorités et aspire à une Syrie libre.
«Nous entendons sans cesse l'affirmation selon laquelle les extrémistes règnent ici, que la charia est appliquée ici. C'est des conneries. Si tu voles, on ne te coupe pas la main. Tu vas tout au plus en prison», dit Mohanned Dallah.
«Sous le HTS, nous vivons plus librement»
Certaines femmes ne portent pas le voile. C'est le cas de Mathilda, qui étudie les arts à l'université. «Sous le HTS, nous vivons plus librement. Par exemple, nous pouvons utiliser Tiktok et Instagram. Sous Assad, ces sites étaient bloqués.»
Une grande partie des quartiers situés en dehors de la ville d'Idlib sont en ruines. Elle a été bombardée et pillée il y a des années. Personne n'a essayé de la reconstruire. Il y a d'innombrables ruines de ce type dans tout le pays. «Notre espoir est que l'étranger nous aide à reconstruire», dit Mohanned Dallah. Lui-même a perdu son appartement à Idlib il y a dix jours. À cause d'une bombe russe.
Dans l'euphorie de la victoire contre le régime de Bachar al-Assad, le peuple syrien est derrière Abou Mohammed al-Joulani – hommes comme femmes, riches comme pauvres. Tout ou rien, jubilation ou déception: les prochains mois nous le diront.