On sait désormais précisément ce que pense le président russe Vladimir Poutine du contrôle des armes nucléaires. Lors d'un forum économique à Saint-Pétersbourg, le chef du Kremlin a confirmé le déploiement de premières ogives nucléaires en Biélorussie.
A cette occasion, il a vanté l'arsenal nucléaire de la Russie. «Nous avons plus d'armes de ce type que les pays de l'OTAN. Ils le savent et nous poussent tout le temps à entamer des discussions sur le désarmement, a poursuivi le dirigeant russe. On s'en fout! Vous comprenez, comme on dit chez nous dans le peuple.»
Le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, s'est alors senti obligé de relativiser la déclaration du président devant les journalistes. «La Russie est prête à mener des négociations», a assuré le communicant. Et ce, alors qu'un nouveau débat sur l'utilisation d'armes nucléaires s'enflamme dans le pays. Sergueï Karaganov, un conseiller septuagénaire de Vladimir Poutine – et avant lui de l'ex-président Boris Eltsine (1931-2007) –, se fait l'avocat d'une frappe nucléaire russe dans une lettre ouverte.
Frappe préventive contre la Pologne
Le président honoraire de l'influent Conseil de politique étrangère et de défense russe parle d'une «décision difficile mais nécessaire» et titre son plaidoyer ainsi: «L'utilisation d'armes nucléaires peut sauver l'humanité d'une catastrophe globale». Selon lui, la Russie doit démontrer sa volonté de mener une «attaque nucléaire préventive» sur le territoire de l'un des pays d'Europe occidentale qui soutiennent les dirigeants de Kiev.
Concrètement, Sergueï Karaganov semble faire référence à la Pologne. Et si une telle escalade ne rendait pas la raison aux dirigeants européens, il serait alors nécessaire d'agir contre un «groupe de pays».
La lettre, publiée mardi dans la revue «Russia in global affairs», a également déclenché un débat au sein des frontières russes. Des voix éminentes ont réagi avec consternation, d'autres se sont exprimées de manière moins critique.
«Sinon, l'humanité est vouée à la destruction»
«Notre pays et ses dirigeants, commence Sergueï Karaganov, sont à mon avis confrontés à une décision difficile. Il devient de plus en plus évident que notre conflit avec l'Occident n'arrivera pas à son terme, même si nous remportons une victoire partielle – et encore moins une victoire écrasante – en Ukraine.»
Viennent ensuite des passages qui ont aussi fait soupirer en Russie. Sergueï Karaganov a passé de nombreuses années à étudier l'histoire de la dissuasion nucléaire. Il explique que la paix relative des trois derniers quarts de siècle reposait sur la peur des armes nucléaires. «Mais cette peur a désormais disparu. La peur d'une escalade nucléaire doit être restaurée. Sinon, l'humanité est vouée à la destruction.»
Sa conclusion: prendre la décision, dure mais nécessaire, d'enclencher une escalade nucléaire obligerait probablement l'Occident à se retirer, permettrait de mettre fin plus tôt au conflit ukrainien et empêcherait la crise de s'étendre à d'autres Etats.
Des voix russes s'élèvent contre une frappe nucléaire
Dans une réponse publiée sur Russia Today, Ilya Fabrichnikov, également membre du Conseil de politique étrangère et de défense, a rétorqué que la Russie ne devait pas mordre à l'appât de l'OTAN. «Il ne faut pas penser à transformer la Pologne en un terrain vague nucléaire», a déclaré Ilya Fabrichnikov. La dissuasion nucléaire est suffisante.
Si les troupes polonaises entrent ouvertement en contact avec les forces russes, si elles occupent des territoires en Ukraine occidentale, tentent d'envahir Kaliningrad ou mènent des actions militaires contre la Biélorussie, alors seulement «la doctrine nationale de dissuasion nucléaire doit être mise en place». Dans ce cas, «personne n'y réfléchira à deux fois, car elle est clairement définie».
Il ne faut pas se laisser piéger par l'Occident, conclut l'expert russe en politique étrangère: «Nous ne devrions pas priver nos 'partenaires' étrangers du privilège de commettre toutes les erreurs qu'ils essaient de nous faire commettre.»
Poutine souffle le chaud et le froid nucléaire
Interrogé vendredi à Saint-Pétersbourg sur l'utilisation d'armes nucléaires, Vladimir Poutine a répondu: «Tout le monde attend que nous commencions à appuyer sur des boutons.» Cité par «Komsomolskaya Pravda», le président russe a poursuivi: «Mais ce n'est pas nécessaire, l'ennemi ne réussit pas sur la ligne de front. Comprenant que le succès est improbable, il nous provoque dans l'espoir de nous montrer du doigt et de dire: 'Regardez comme ils sont brutaux'.»
Après avoir douché les espoirs des partisans d'une frappe nucléaire russe, le chef du Kremlin a tout de même conclu: «J'ai déjà dit que le recours à des mesures extrêmes était possible en cas de menace contre l'État russe. Dans ce cas, toutes les forces et tous les moyens seront utilisés.»