Voitures calcinées, rues jonchées de milliers d'éclats de tuiles et de bandages ensanglantés: tel est, samedi matin, le nouveau décor d'un quartier de Dobropillia, dans l'Est ukrainien, après le passage de missiles à sous-munitions russes.
Dans cette ville de la région orientale de Donetsk, onze personnes ont été tuées et quarante autres, dont six enfants, ont été blessées, selon un dernier bilan fourni par les autorités ukrainiennes. Irina Kostenko, une habitante de Dobropillia, une bourgade posée à une trentaine de kilomètres de la ligne de front, a déjà connu de maintes attaques depuis le début de l'invasion russe en févier 2022. Mais cette fois-ci, «c'était l'apocalypse», lance cette femme de 59 ans, la main bandée par des linges rougis de sang.
Des sédatifs contre la tension
De cette nuit, Irina décrit à l'AFP d'abord un «bruit sourd», puis, le petit marché en contre-bas «a explosé». Elle connaît nombre de ses voisins qui font partie des victimes. Les yeux dans le vague sur le béton griffé et noirci, elle décrit les cadavres touchés par les éclats, «le sang... les caillots. C'est horrible. En plein dans sa tête...»
En sortant de son immeuble, elle a vu sa voisine Sveta, «allongée par terre, morte, recouverte d'un drap». Selon Irina, un jeune couple nouvellement arrivé dans le quartier a été «brûlé vif» dans l'attaque. Derrière elle, les pompiers luttent encore contre un incendie qui ravage, depuis la nuit, les blocs d'immeubles constellés d'éclats des bombes à sous-munitions. «C'était très, très effrayant. Je n'ai pas les mots pour le décrire», lâche Irina, qui dit avoir pris des sédatifs pour pouvoir calmer sa tension.
Des quartiers dévastés
Assise sur un banc pour retrouver ses esprits, elle mange un sandwich apporté par sa fille Aliona. Cette dernière vit à quelques rues du point d'impact. Sa fille d'une dizaine d'années s'est réfugiée dans le couloir avec elle durant l'attaque. «Elle s'est bouché les oreilles et a pleuré», explique cette mère de 39 ans, en se tenant la gorge encore sous le choc.
Anna, infirmière de 40 ans, a elle vue sa fille de 18 ans blessée par les éclats, avant d'être amenée aux urgences par les secours. «Elle était assise là, son visage était coupé comme ça, son bras était bandé. J'ai commencé à crier», explique l'infirmière. «Je ne me souviens plus de rien après.»
Dans les rues du quartier dévasté, les habitants tentent de sortir leurs meubles encore intacts, faisant fi des éclats de verre au sol et de larges flaques de sang mêlés à la boue. Parmi les tôles froissées comme du papier, un homme tente de sauver ce qu'il reste de son échoppe, mais le feu a brûlé étals, murs et voitures.
«Très effrayant»
Au milieu, Olena, le regard vide, observe les balcons qui pendent lamentablement des façades. Depuis la rue, on voit l'intérieur de son ancien appartement aux papiers peints rose lacérés. Elle est contente d'avoir déménagé pour s'installer un peu plus loin, même si elle a entendu l'attaque.
«C'était très bruyant, très effrayant», dit-elle, ne sachant pas où les bombes vont «tomber plus tard.» «Nous sommes otages de la guerre», lâche-t-elle, en réprimant un sanglot. Une femme en pleurs sort de ce même immeuble en titubant, soutenue par un homme qui l'empêche de retourner dans le bâtiment détruit. «Il faut la garder vivante dans notre mémoire», lui dit-il en la serrant dans ses bras, en parlant d'une personne décédée.
Sous le feu de Moscou
Ces derniers jours, les grandes cités du Donbass comme Kramatorsk, Sloviansk ou Doprobillia, sont sous le feu constant de Moscou. Dans ces villes, devenues d'importants points logistiques de l'armée ukrainienne car situés à quelques dizaines de la ligne de front, l'AFP est témoin d'explosions, quasi-quotidiennes, de KAB, des bombes planantes russes larguées par avions depuis le front, et touchant les rues, sans faire de distinctions entre civils et militaire.
Avec l'augmentation des attaques, le gouverneur a d'ailleurs appelé, à nouveau, les habitants à quitter la région. Ce que va faire Olena, et définitivement, après ces explosions «épouvantables». «En 2022, je suis déjà partie, j'ai été évacuée. Puis je suis revenue et je vis ici depuis. Mon mari est à la guerre», dit l'éducatrice de 53 ans, les yeux brillants de larmes.