Gare aux caricatures faciles! Gare au scénario joué d'avance, entre le «bon» américain et le «méchant» chinois, entre la grande démocratie pacificatrice et la dictature guerrière. Les tenants de la thèse selon laquelle l’OTAN et les Etats-Unis ont poussé la Russie à agresser l’Ukraine le 24 février 2022 ont sans doute eu les oreilles qui sifflent ce samedi.
À la Conférence annuelle sur la sécurité de Munich, le porte-parole de la paix n’a pas été un Occidental. Parmi tous les dirigeants qui se sont exprimés dans la salle plénière de l’hôtel Bayerishe Hof, le directeur du bureau des Affaires étrangères du Parti communiste chinois Wang Yi a été, de loin, le moins belliqueux. «Nous ne voulons pas ajouter de l’huile sur le feu, ni profiter de cette crise, a-t-il affirmé. Nous voulons faciliter les négociations de paix et agir comme un intermédiaire. La guerre et les conflits n’ont pas de gagnants.»
Bientôt, un plan de paix chinois
La Chine, faiseur de paix en Ukraine? Wang Yi a concrètement répondu «Oui», en annonçant que son pays présentera bientôt un plan pour faire cesser les hostilités. «Le président Xi Jinping a déclaré que la Russie et l’Ukraine devraient s’asseoir à la même table. La Biélorussie et la Turquie ont aussi participé à de nombreuses réunions de négociations. Il faut reprendre ce processus», a plaidé le ministre, qui termine en Allemagne une tournée européenne.
Et d’enfoncer le clou pour bien montrer que le camp de l’escalade militaire n’est pas celui de son pays: «Plus la situation est difficile, moins nous pouvons nous permettre d’abandonner nos efforts. La Chine continuera et présentera un document de réflexion pour une issue politique. Les inquiétudes de sécurité de chacun doivent être prises en compte. Aucune guerre ne peut être gagnée.»
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Une phrase prononcée quelques minutes avant les prises de parole successives du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg et de la vice-présidente américaine Kamala Harris. Tous deux ont, au contraire, réitéré leur soutien illimité à l’Ukraine. «Poutine n’a pas réussi à diviser l’OTAN, a asséné cette dernière. Notre engagement pour l’article 5 de l’Alliance (celui qui prévoit la riposte de tous les pays si l’un d’entre eux est attaqué) est dur comme du fer. Le temps ne joue pas en faveur de la Russie.»
Affolement militaire américain?
La position chinoise était très attendue. D’abord, parce que ces dernières semaines ont été marquées par l’affolement militaire du gouvernement américain provoqué par un ballon de surveillance chinois abattu au-dessus de son territoire. Ce dont Wang Yi s’est presque moqué à Munich en parlant de «recours abusif et hystérique à la force» contre un «aéronef non piloté qui s’était écarté de sa trajectoire prévue».
Ensuite parce qu’à quelques jours du premier anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine, une inquiétude pèse lourd sur les épaules des dirigeants alliés: celle de voir les pays émergents du sud, en particulier en Asie derrière l’Inde, se désolidariser de l’Occident.
Plusieurs dirigeants de premier plan, dont le Chancelier allemand Olaf Scholz, ont pointé du doigt la zone indopacifique où se joue, selon eux, le versant mondialisé de cette guerre: «Le discours guerrier des Américains et de l’OTAN n’impressionne plus ces grands pays du sud, note avec inquiétude un diplomate européen. Et si la Chine dépose un plan de paix sérieux que les Occidentaux ignorent, on paiera un prix très cher. Le fardeau de la guerre se retrouvera sur nos épaules.»
La diplomatie au centre
L’intérêt de l’argumentation chinoise est qu’elle met la diplomatie au centre. Du côté des Européens et des Etats-Unis au contraire, c’est l’option militaire qui prime, faute de déceler la moindre volonté de concession au Kremlin. «Nous ne céderons pas», a d’ailleurs tonné Kamala Harris, à la veille d’une visite très attendue de Joe Biden en Pologne, du 20 au 22 février.
Le président américain sera à Varsovie le 21, au moment où Vladimir Poutine prononcera à Moscou un discours pour justifier l’année de guerre écoulée. Le Premier ministre britannique Rishi Sunak, comme avant lui le président Macron, a toutefois laissé la porte entrouverte. «Si la Chine assume un rôle responsable avec un plan de paix, tant mieux», juge le locataire du 10 Downing Street.
Diaboliser l’adversaire américain
L’arrière-pensée de Wang Yi est claire: diaboliser l’adversaire américain. Ou, du moins, tout faire pour montrer sur la scène internationale que les fautes sont des deux côtés. Exemple sur le début de négociations de paix qui avaient eu lieu courant 2022: «Nous ne savons pas pourquoi ce processus a été abruptement arrêté, a ironisé le ministre chinois. Peut-être que certains acteurs ne veulent pas protéger les futures victimes (...) Ces actes belliqueux ne doivent pas continuer.» Pas un mot en revanche sur la nécessaire justice avant d’entamer toute discussion.
A l’opposé, l’ancienne procureure de Californie Kamala Harris a pour sa part mis le sujet des violations du droit international en Ukraine au centre de la discussion, après avoir parlé avec émotion de scènes d’horreur à Boutcha et sur le front: «Nous avons étudié les preuves. Nous savons quels sont les standards juridiques. Il n’y a aucun doute que l’armée russe a commis des crimes contre l’humanité. Je dis à tous ceux qui les ont commis et à leurs supérieurs qui sont des complices: vous devrez rendre compte.»