D'abord, corriger notre erreur! Comment avons-nous pu croire et écrire dans les colonnes de Blick, avant le premier tour des élections législatives françaises, que Marine Le Pen, 53 ans, pourrait bien prendre sous peu une retraite politique ? La réponse est à la fois simple et erronée.
Elle voulait arrêter le combat
Simple, parce que l'ex-candidate à la présidentielle, sèchement battue par Emmanuel Macron le 24 avril (58,5% contre 41,5%), a souvent donné l'impression de vouloir arrêter le combat électoral, elle qui a grandi dans l'ombre de son père, le tribun Jean-Marie Le Pen, co fondateur du Front National. Erronée, parce qu'un élément nous avait échappé: la normalisation du parti d'extrême-droite dont elle est la championne a profité à plein de la dernière présidentielle.
Alors que l'ex-polémiste Eric Zemmour - battu au premier tour dans le Var - attirait sur lui les projecteurs de la haine raciale et qu'Emmanuel Macron continuait d'attiser le feu protestataire anti-mondialisation, «Marine» est subitement passée sous les radars. Championne de la défense du pouvoir d'achat. Prompte à étreindre les électeurs. Transparente au point d'avouer, avant les législatives, que son parti n'aurait jamais la majorité pour gouverner tandis que le leader de l'alliance de gauche, Jean-Luc Mélenchon, rêvait de se faire élire Premier ministre. Oubliée, la dirigeante du parti d'extrême-droite longtemps obsédé par les questions d'immigration et d'identité. Marine Le Pen s'est tranquillement réinventée en «petite mère du peuple».
Une mutation mal identifiée
C'est à cette mutation mal identifiée par les médias obsédés par les harangues mélenchonistes - y compris au sein de la presse étrangère - que les 89 députés élus dimanche soir sous les couleurs du Rassemblement national doivent d'abord leur élection. Voici donc la France à l'heure helvète: avec, comme presque première force politique du pays en nombre de sièges, un RN devenu une formation hybride, mi-UDC paternaliste, mi-parti communiste français à l'ancienne. Avec deux axes en guise de priorités: le rejet de l'Union européenne prétendument acquise aux mondialistes, et celui du capitalisme supposé dominé par les prédateurs des «petites gens».
Révolue, l'image de l'héritière d'un clan politique dont l'origine de la fortune a toujours nourri les interrogations. Exit, l'égérie anti-immigrés et anti-musulmans, au point de se faire aujourd'hui photographier avec des femmes voilées. Fini, le flirt financier avec la Russie de Poutine, maintenant que ce superbe score électoral aux législatives va faire affluer l'argent public dans les caisses du RN. Le plafond de verre électoral n'existe plus. Marine Le Pen l'a brisé dimanche soir en devenant.... terriblement banale.
Ecoutez ici l'intervention de Richard Werly sur la matinale de Radio Courtoisie lundi 20 juin
Nationale et populiste
Nationale et populiste. Les deux mots cachent ce que le RN aura bien de la peine, ces prochains jours, à dissimuler: son impréparation totale à jouer aux avants-postes de la République. Marine Le Pen n'a, paradoxalement, pas la force politique qu'aurait pu engendrer Eric Zemmour s'il n'avait pas fini à 7% au premier tour de la présidentielle. Son parti manque de recrues dans la haute-fonction publique qui compte tant en France pour exercer le pouvoir. Ses attaques contre l'UE butent rapidement sur le manque de compétences de ses élus, et leur connaissance plus que floue des dossiers législatifs.
Mais qu'importe. Dans les années 50, le patriarche Jean-Marie Le Pen, 93 ans, avait été élu une première fois député aux cotés d'un populiste défenseur des petits commerçants, Pierre Poujade. La boucle est bouclée. Marine Le Pen est une poujadiste des années 2020. Dépositaire d'une colère. Considérée, dans certains départements où ses élus font carton plein ou presque (Pyrénées orientales, Var, Haute Saône, Pas de Calais où elle est brillamment réélue) comme l'unique moyen de se faire entendre des «élites» face à une gauche Mélenchoniste devenue trop «bobo», LGBT, écolo et communautariste proche des populations des quartiers, d'origine maghrébine ou africaine.
Assistante sociale en chef de la France «blanche»
Il manquera toujours à Marine Le Pen le cynisme et la force brute capitaliste d'un Donald Trump ou d'un Christoph Blocher. Il risque de lui manquer, aussi, cette volonté d'arriver au sommet du pouvoir qui fait l'étoffe des chefs. N'empêche: la voici promue, avec ces législatives qui lui accordent l'un des groupes politiques les plus puissants de l'Assemblée nationale, assistante sociale en chef de la France «blanche» qui souffre dans le silence. Ce qui, en soi, est un bien plus grand danger, au sein de cette nouvelle Assemblée nationale française fragmentée, que les refrains colonialistes et xénophobes d'Eric Zemmour.
Face à l'Union européenne trop souvent oublieuse des peuples et empêtrée dans la guerre déclenchée en Ukraine par Vladimir Poutine, face à un Emmanuel Macron contraint de se déporter vers la droite bourgeoise pour conclure des alliances, la patronne du RN s'est installée dimanche dans le rôle de la résistante en chef, solide dans la tempête, au cuir électoral bien plus épais que ses adversaires. Plus même besoin de briser le plafond de verre. Il lui suffit de le déboulonner, sans rien renier de ses opinions extrémistes d'antan, auxquelles presque tous les élus du Rassemblement national restent tragiquement et dangereusement fidèles.
Plus sympathique que ses adversaires
Marine Le Pen a longtemps fracturé la France. Fatiguée de diviser, haïe par une partie des français et décrédibilisée par l'impasse économique de son programme à l'ère de l'euro, cette bonne vivante pouvait songer à prendre sa retraite. Rassembleuse et dédiabolisée, «Marine» peut, devant ce plafond de verre électoral affaissé par la disparition du «Front Républicain» contre l'extrême droite, au moins déguster l'incroyable et l'impensable: être devenue plus sympathique que presque tous ses adversaires.