Macron tout-puissant, c’est fini. Le président français réélu le 24 avril devra négocier d’arrache-pied pour gouverner la France durant ses cinq années de mandat. Telle est la principale leçon du second tour des élections législatives, ce dimanche 19 juin.
Selon les projections disponibles à l’heure d’écrire ces lignes, la coalition présidentielle disposera de 245 sièges sur 577, alors qu’il en fallait au moins 289 pour obtenir une majorité absolue. Plusieurs proches du chef de l’État français, dont le président sortant de l’Assemblée Richard Ferrand, sont battus dans les urnes.
Ses deux principaux opposants, la leader nationale-populiste Marine Le Pen (finaliste de la présidentielle) et le leader de la France Insoumise (gauche radicale) Jean-Luc Mélenchon, peuvent en revanche crier victoire. Tous deux pourront compter sur 89 députés alors qu’ils en comptaient respectivement 8 et 17 auparavant. La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES), qui inclut le parti socialiste, le parti communiste et les écologistes, devrait atteindre en tout 150 députés.
Fini «Jupiter» et le «maître des horloges»
La toute-puissance macroniste était le symbole du premier quinquennat, de 2017 à 2022. Elle avait valu au locataire du palais de l’Élysée ses deux surnoms: «Jupiter» (en référence au dieu des dieux) et «le maître des horloges» (car tout passait par lui). Or cette horloge s’est déréglée. Le président Français ne pourra plus gouverner le pays de façon aussi verticale qu’auparavant. Ce qui plaisait d’ailleurs de moins en moins aux électeurs selon les sondages.
Le voici obligé, lui, le Chef de l’État élu au suffrage universel, de se réinventer en patron d’une majorité parlementaire relative, que son premier ministre devra constituer au cas par cas, en fonction des projets de lois. Plus problématique: Macron l’Européen, qui achève à la fin juin d’assumer la présidence tournante de l’Union européenne, va se retrouver face à prés de 200 députés eurosceptiques voire europhobes, de gauche et de droite, favorables au minimum à une renégociation des traités qui lient la France aux 26 autres États membres de l’Union.
Attention, danger: une partie d’entre eux, du côté de Jean-Luc Mélenchon comme de Marine Le Pen, ont même préconisé durant la campagne un affrontement politique avec l’Allemagne, dont ils dénoncent la domination économique et politique sur la France!
On se souvient aussi des accusations proférées par Emmanuel Macron contre la présumée «soumission» à la Russie des Mélenchonistes et des Lepénistes, connus pour leurs propos passés favorables à Vladimir Poutine. La représentation nationale est assurée de tanguer lors des débats sur la guerre en Ukraine.
Une triple défaite pour Macron
Au final, et alors que les résultats sont en train d’être finalisés, ce résultat est une triple défaite pour un président français qui a sans doute eu le tort de croire que sa réélection avec 58,5% des voix, voici moins de deux mois, allait automatiquement aboutir à une majorité parlementaire favorable.
La première défaite est personnelle, car plusieurs proches de Macron ont été battus dans les urnes. Outre le fait que quelques-uns de ses amis politiques – l’ex ministre de l’intérieur Christophe Castaner, le président sortant de l’Assemblée Richard Ferrand – mordent la poussière, le président aura en effet beaucoup de mal à conserver à la tête du gouvernement la première ministre nommée début mai, Élisabeth Borne, élue en Normandie mais a priori trop peu charismatique pour espérer tenir longtemps à Matignon. Coté «ressources humaines», Macron va donc devoir revoir sa copie en urgence.
La droite s’est radicalisée. La gauche aussi
Sa seconde défaite est idéologique. Le projet Macroniste de 2017, qui promettait de dépasser la droite et la gauche, n’existe plus. La droite s’est radicalisée. La gauche aussi. Le centre est diminué, tronqué. Macron II va devoir, pour gouverner, se positionner encore plus à droite.
Le réformateur en lui, le «disrupteur» qui faisait l’éloge de la «start-up nation» est condamné à devenir conservateur. Sa volonté de rupture apparaît très mal en point alors que le pays est de plus en plus endetté, que les dépenses publiques explosent, que l’inflation menace et que la guerre en Ukraine redistribue les cartes géopolitiques en Europe.
Une défaite institutionnelle
La troisième défaite est celle du président comme institution clé de la Ve République. Les Français ont montré avec ce vote qu’ils veulent un partage des pouvoirs plus réel entre l’exécutif et le parlement (le Sénat, contrôlé par la droite, n’est pas élu au suffrage universel direct). Ils ont aussi lancé avec leurs bulletins un appel pour davantage d’oxygène démocratique.
Problème: cette combinaison est explosive car les partis forts à l’Assemblée sont ceux qui sont les plus anti-Macron. La révolte a dominé les urnes. Le système français est comme l’horloge présidentielle: sacrément déréglé. Les promesses de disruption macroniennes ont accouché d’un séisme institutionnel permanent net problématique.
Le sens tactique du président
Reste deux éléments qui peuvent faire la différence dans les prochains mois. Le premier est le sens tactique de ce président-caméléon, qui va tout faire pour convaincre de nouveaux alliés, sans doute en remaniant son gouvernement en urgence, puis en proposant des «deals» sur ses réformes. Il a pour cela un avantage: celui de la neutralisation probable, à l’Assemblée, des députés les plus extrémistes. Une coalition des «raisonnables» pourrait finir par émerger.
Le deuxième élément capable de faire la différence est l’arme de la dissolution. Emmanuel Macron peut dissoudre l’Assemblée et renvoyer les députés devant les électeurs. «Jupiter» a perdu ce dimanche son feu sacré. Il n’est plus tout-puissant. Mais il conserve une partie de sa puissance. Au milieu d’une France fragmentée, divisée, et politiquement de plus en plus chaotique.