Courageux, déterminés et combatifs, les soldats ukrainiens tiennent tête à l'armée russe depuis plus de trois mois. L'image des héros triomphants dans les tranchées est soigneusement entretenue par le gouvernement ukrainien. Elle est véhiculée par de nombreuses vidéos et images.
Ces dernières semaines, on a surtout entendu parler de soldats russes qui refusaient de se rendre au combat et d'obéir aux ordres de leurs commandants. Mais de nombreux soldats ukrainiens semblent aussi aujourd'hui ne plus avoir envie de risquer leur propre vie pour défendre leur patrie. Les premières informations sur des hommes qui désertent ont été rendues publiques.
Une pomme de terre par jour
Selon le «Washington Post», les troupes ukrainiennes se sentent abandonnées par leurs supérieurs. Les soldats du Donbass se plaignent par exemple d'un manque d'armes et d'un mauvais approvisionnement. Ils n'auraient parfois eu qu'une pomme de terre à manger par jour.
Le moral des troupes serait parfois si bas que les combattants déserteraient. «Notre commandement n'assume aucune responsabilité», a déclaré au «Washington Post» Serhij Lapko, qui était stationné à Louhansk. Ils ne font que s'attribuer le mérite de nos performances. Ils ne nous apportent aucun soutien».
Serhij Lapko, son lieutenant en chef Vitali Chrus et d'autres membres de la compagnie accordent une interview à nos confrères américains alors qu'ils prennent leurs quartiers dans un hôtel. Quelques heures plus tard, ils seront arrêtés.
«Envoyés vers une mort certaine»
Le moral des troupes à Sjewjerodonezk est également au plus bas. Depuis la mi-mai, une vidéo de la 115e brigade du 3e bataillon circule sur les médias sociaux. Les soldats expliquent qu'ils ne se battront plus parce qu'ils n'ont pas d'armes appropriées et trop peu de soutien pour pouvoir contrer les attaques russes. Les soldats ne seraient en outre pas respectés. «Nous avons été envoyés vers une mort certaine», déclare un soldat, entouré de ses collègues. Et nous ne sommes pas les seuls à avoir cette opinion, nous sommes nombreux».
Quelques jours plus tard, une autre vidéo montrait d'autres membres de l'armée appartenant à la même brigade. Les «déserteurs» sont alors vivement critiqués. «Ils pensaient sans doute qu'ils étaient venus pour prendre des vacances. C'est pourquoi ils ont maintenant quitté leurs positions», déclare un homme, entouré d'autres soldats.
Une préparation insuffisante
Beaucoup de ces hommes ne sont pas des soldats professionnels. Ils étaient des civils ordinaires avant le début de la guerre. Serhij Lapko explique au «Washington Post» qu'il a été envoyé à Louhansk pour apporter son soutien à la troisième ligne de défense. Mais au lieu de cela, il s'est retrouvé en première ligne. Serhij Lapko, qui est originaire de l'ouest de l'Ukraine comme ses camarades, raconte qu'ils se sont vu remettre des fusils AK-47. Selon lui, leur «formation» n'a même pas duré une demi-heure. Certains hommes auraient même refusé de partir à la guerre. Ils ont alors été arrêtés.
Serhij et Vitali ont vécu les combats de Louhansk. La situation s'est détériorée ces dernières semaines, explique Vitali Chrus: «Nous n'avons rien pour travailler. Nous sommes impuissants». Pendant des jours, les hommes auraient dormi dans des caves où des rats se baladaient.
Le gouverneur de la région de Luhansk, Serhij Gajdaj, admet certes que de nombreux combattants étaient mal préparés. Mais il l'assure: «Ils ont suffisamment de matériel médical et de nourriture. Le seul problème, c'est qu'ils ne sont pas prêts à se battre».
Des pertes passées sous silence
Serhij Lapko et Vitali Chrus contredisent cette affirmation. Selon eux, ils ont tout donné malgré les privations. «Vitali et sa section ont tué plus de 50 soldats russes dans des combats rapprochés», explique Serhij Lapko. Dans le même temps, il aurait également perdu quelques camarades. Mais ces pertes seraient tenues secrètes afin de protéger le moral des troupes. «A la télévision ukrainienne, il est raconté qu'il n'y a pas de pertes. Mais ce n'est pas vrai», tonne Serhij Lapko.
Selon lui, la plupart des hommes n'ont pas survécu parce qu'il manquait des véhicules pour évacuer les blessés et les emmener dans les hôpitaux. Quelques morts auraient ainsi pu être évités, estime-t-il. Le président ukrainien Volodimir Zelensky avait récemment chiffré ses propres pertes à 100 morts et 500 blessés par jour.
Avant son arrestation, Serhij Lapko avait souligné au «Washington Post»: «Nous sommes prêts à nous battre. Nous défendrons chaque mètre de notre pays - mais avec des règles appropriées et sans ordres irréalistes. J'ai prêté serment d'allégeance au peuple ukrainien. Nous protégeons l'Ukraine et nous ne laisserons entrer personne tant que nous serons en vie».
Après son arrestation, son commandement lui a été retiré et il a été emmené dans un centre d'internement. Il est accusé de désertion. Son avenir est incertain.
(Adaptation par Thibault Gilgen)