Le FBI a fait un cauchemar. La police fédérale américaine a rêvé que Viktor Bout, 56 ans, prenait le relais d'Evgueni Prigojine en Afrique. Sauf que dans ce cas précis, ce n’est pas un délire. L’ancien trafiquant d’armes, qui a inspiré le film «Lord of War» sorti en 2005, est bel et bien de retour.
Plusieurs journalistes et experts qui suivent depuis longtemps son parcours le considèrent comme le successeur le plus probable du leader de la milice russe Wagner sur le continent africain. Logique: Bout a toutes les cartes en main. Il avait été vu, en juillet dernier, dans les coulisses du sommet Afrique-Russie organisé à Saint-Pétersbourg. Et côté mercenaires et «deals» occultes, ce polyglotte, ancien élève de l’Institut militaire soviétique des langues étrangères (il en parle huit, dont le français), maîtrise le sujet à la perfection.
Le portrait vidéo de Viktor Bout
Le cauchemar du FBI
Pourquoi Bout est-il le cauchemar du Federal Bureau of Investigation (FBI)? Parce que c’est à cette agence américaine que le trafiquant russe, considéré par beaucoup comme le bras armé des services de renseignement de Moscou en Afrique dans les années 1990-2000, doit d’avoir été arrêté en 2008.
Des agents spéciaux du FBI furent alors dépêchés en urgence à Bangkok (Thaïlande) après avoir appris que Bout y ferait une escale. Motif: l’organisation d’une vente d’armes aux milices paramilitaires de Colombie, pour une valeur estimée de plusieurs millions de dollars.
Viktor Bout est tranquillement assis dans un salon de l’hôtel Sofitel Pullman de Silom Road à Bangkok lorsque les policiers thaïlandais, escortés par leurs collègues américains, l’interpellent en pleine négociation… avec un faux trafiquant d’armes colombien. Le Russe s’est fait duper. Les services américains lui ont tendu une embuscade. Il reste en prison en Thaïlande jusqu’en 2011, puis sera extradé vers les États-Unis qui l’accusent de «narco-terrorisme» pour son soutien aux gangs exportateurs de cocaïne vers les États-Unis. Le 5 avril 2012, sa condamnation tombe: 25 ans de détention dans un pénitencier de haute sécurité.
Prigojine, le mode d’emploi
Quel rapport avec Evgueni Prigojine? Tout. Les deux hommes ont un profil complémentaire. Seuls leur parcours diffèrent. Tous deux sont des aventuriers. Tous deux adorent l’argent. Tous deux doivent leur carrière et leur fortune à Vladimir Poutine et aux réseaux mafieux de l’ex-KGB soviétique.
Mais Prigojine est mort, tué dans le crash de son avion Embraer le 23 août, au nord est de Moscou. Et Bout est bien vivant, disponible pour reprendre du service depuis sa libération le 8 décembre 2022 lors d’un échange à Abu Dhabi avec la basketteuse américaine Brittney Griner, emprisonnée en Russie pour détention de substance pour vappoteuse à base de cannabis.
On résume: Viktor Bout est un vétéran des guerres africaines. Il connaît les arcanes du pouvoir russe. Il est lui-même un mercenaire. Et il doit tout à Poutine, qui a demandé sa libération aux Américains. Il est le candidat idéal pour succéder à Prigojine.
Changer de camp
Le cauchemar du FBI est nourri d’images: celle du film «Lord of War» qui, en 2005, racontait le sanglant périple africain d’un trafiquant inspiré par Viktor Bout, joué par l’acteur Nicolas Cage. Des images que les agissements actuels du groupe Wagner, fort d’environ 10'000 soldats de fortune en Afrique (Mali, Libye, Soudan, République centrafricaine, Mozambique, Burkina Faso), répliquent en tous points.
Viktor Bout fournissait des armes aux seigneurs de la guerre. Il avait au début des bases en Europe de l’Ouest, notamment à Ostende, en Belgique. Il connaissait certains des leaders africains qui, aujourd’hui, persistent à semer la mort et la terreur dans leur pays. Il ne lui reste au fond qu’à changer de camp: à passer du côté des gouvernements ou des putschistes soutenus par la Russie, au lieu d’approvisionner en armes leurs opposants.
Les atouts de Viktor Bout
Viktor Bout a deux autres atouts. Le premier est qu’il est resté, pour cause de détention aux États-Unis, complètement étranger au bourbier militaire en Ukraine. Il n’a donc pas nourri, comme Prigogine, de rancœur féroce envers Vladimir Poutine accusé de sacrifier ses troupes sans aucun état d’âme. Deuxième atout : il connaît l’Afrique et les Américains. Il a subi les foudres de la justice des États-Unis. Il saura (peut-être) mieux décoder leurs intentions. A moins que Washington, le FBI et la CIA ne l’aient «retourné» durant sa détention. Peu probable. Mais l’on a vu avec «Lord of War» que la réalité et la fiction peuvent aussi se rejoindre..