Les industriels piaffent
La Suisse va devoir participer à l'Europe de la défense

La sacro-sainte neutralité helvétique fonctionnait plutôt bien avec l'OTAN. L'Europe de la défense, si elle se matérialise, pourrait s'avérer plus complexe à manier pour l'armée suisse. Car les enjeux industriels seront énormes.
Publié: 07.03.2025 à 16:54 heures
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Un mécanicien de jet de Ruag lors des travaux d'entretien d'un jet McDonnell Douglas F/A-18 de l'armée suisse effectués par Ruag.
Photo: Keystone
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Richard WerlyJournaliste Blick

La neutralité suisse exige-t-elle une industrie nationale de défense performante? D'emblée, la réponse est oui. Un pays-hérisson comme la Suisse doit, pour préserver sa neutralité et son territoire, disposer le plus possible de matériel militaire helvétique.

Or, voilà que nos voisins Européens viennent d'enclencher à Bruxelles (un retournement est toujours possible) une politique d'investissement massif et de production accélérée d'armement. Ce qui suppose des synergies, des accords entre industriels, et des priorités qu'un petit pays situé entre des poids-lourds comme la France, l'Allemagne ou l'Italie, pourra difficilement ignorer. 

Partenariat pour la paix

On résume, pour le lecteur perdu dans les alpages ou terré dans son bunker. Jusque-là, la Suisse a su fort bien s'accommoder de sa présence dans le «partenariat pour la paix» de l'OTAN (créé en 1994), ce groupe de pays partenaires de l'Alliance atlantique à des degrés divers (la Russie en a même fait partie dans les années 2008-2012). La combinaison magique: une totale distance politique, mais une coopération opérationnelle pour maintenir l'armée suisse au niveau. 

Le Conseil fédéral a ainsi décidé, en novembre 2024, que la Suisse participera à un exercice de l'OTAN sur la gestion de crise prévu ce printemps. Avec en prime, des rencontres ponctuelles de haut-niveau, comme celle du 22 janvier 2025 à Davos entre la cheffe sortante du département de la Défense Viola Amherd et le nouveau secrétaire général de l'Alliance, Mark Rutte. 

Le problème est que cet équilibrisme neutraliste a un talon d'Achille, sur lequel le sommet extraordinaire de Bruxelles du 6 mars vient d'appuyer: l'industrie de l'armement. Les Européens sont décidés à produire davantage d'armes, et à accélérer dans des domaines prioritaires tels que les drones, la défense antiaérienne, ou les infrastructures cyber. Le chiffre de 800 milliards d'euros d'investissement est sur la table, dont 150 milliards disponibles rapidement sous forme de prêts. Question: cet argent et les commandes publiques qui suivront peuvent-elles bénéficier aux usines helvétiques, dont l'avenir est très sombre ?

Ruag dans une mauvaise passe

Ruag est dans la tourmente en raison de soupçons de fraude et au sujet de la vente de chars Léopard stockés en Italie à une entreprise allemande dans l'impossibilité de les exporter vers l'Ukraine. La fabrique de munitions de Thoune est en train de mourir. Le chef de l'armée vient de démissionner. Or le Chancelier allemand sortant, Olaf Scholz, a rouvert la porte à la Confédération, jeudi à Bruxelles. «Il est très important pour nous que les projets qui peuvent être soutenus avec les 150 milliards d'euros (sous forme de prêts garantis par le budget communautaire) soient également ouverts à des pays qui ne font pas partie de l’Union européenne (UE) mais qui travaillent en étroite collaboration avec nous, comme la Grande-Bretagne, la Norvège, la Suisse ou la Turquie» a-t-il déclaré. 

Autre considération: l'augmentation prévisible des dépenses de défense. Le projet de budget de l'armée pour 2025 est de 1,7 milliard de francs, dont 1,51 milliard pour l'armement. Un chiffre trompeur si on le compare à ceux des pays voisins, car l'armée suisse demeure une armée milicienne de conscription. Reste que l'objectif de consacrer 1% du PIB à la défense d'ici 2032 apparait désormais ridiculement bas. Donald Trump exige 5% minimum de la part des 32 pays membres de l'OTAN. La France est à 2,1%. La Pologne à plus de 4%. Pour la Suisse résolue à protéger sa neutralité, tout pays riverain trop bien armé est, en soi, un risque. 

Opportunités industrielles

Opportunités industrielles côté pile. Obligation pour l'Etat d'investir davantage côté face. Si nos voisins confirment leurs engagements pris à Bruxelles le 6 mars, la Suisse n'a guère d'autre choix que de participer à cette Europe naissante de la défense, en espérant que les 36 avions F35 américains achetés en 2021 n'arriveront pas avec trop de retard. Un dossier en tout ca sincontournable pour le successeur de Viola Amherd

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