C'est en termes très clairs que l'ambassadrice d'Israël à Genève, Meirav Eilon Shahar, intervient auprès de la directrice générale de l'ONU Tatiana Valovaya: Dans une lettre que Blick s'est procurée, elle se plaint de dysfonctionnements dans le bâtiment genevois de l'ONU. Meirav Eilon Shahar dénonce la «diffusion de propagande et de fausses informations». Elle accuse le Qatar d'en être l'auteur.
La pierre d'achoppement est une exposition sponsorisée par le Qatar qui prétend montrer six villes palestiniennes. Parmi elles, Be'er Sheva et Jaffa, deux localités qui se trouvent sur le territoire israélien. «C'est une négation de l'intégrité territoriale d'Israël et de notre droit à l'existence», critique l'ambassadrice. Jérusalem est pareillement décrite comme une ville palestinienne. Cela sape «le lien historique avec le peuple juif». Toutefois, le statut de la ville est contesté en droit international.
L'exposition n'est pas la seule raison pour laquelle Meirav Eilon Shahar s'adresse avec inquiétude à la directrice générale de l'ONU. Récemment, une brochure jugée antisémite intitulée «L'histoire de feu et de sang» a circulé dans la salle des droits de l'homme de l'ONU. La brochure «fait l'apologie du terrorisme et dépeint les juifs avec de gros nez et propage des conspirations antisémites», critique l'ambassadrice israélienne. Son pays réclame une enquête.
«Nous sommes conscients de cette affaire»
Dans le cadre d'une autre exposition, on pouvait voir dans le bâtiment genevois de l'ONU un poster montrant Ido Avigal et Nadine Awad: deux enfants israéliens victimes du Hamas en 2021. L'Etat hébreu accuse les Palestiniens de s'orner de victimes israéliennes.
Le bureau de la directrice générale de l'ONU a confirmé à Blick la réception de la plainte. «Nous sommes au courant de cette affaire. Notre directrice générale a pris contact avec la représentation permanente d'Israël.» L'ambassadeur du Qatar à Genève a laissé une demande sans réponse.
La situation à Genève est symptomatique du double jeu auquel se livre depuis des années l'Etat du désert qui jette allègrement de l'huile sur le feu. Ces dernières années, le Qatar a réussi à se rendre indispensable sur la scène diplomatique grâce à des tactiques habiles. Alors que la Suisse parle beaucoup de ses bons offices, le Qatar crée des faits avec des actes.
Le pouvoir et l'influence
Qu'il s'agisse de négociations avec le Hamas ou avec les talibans, personne ne peut actuellement passer à côté de Doha. L'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, entretient les meilleures relations dans toutes les directions. Il courtise aussi bien les dirigeants des talibans que les membres du Hamas. Cela lui assure pouvoir et influence.
Selon l'islamologue Reinhard Schulze de l'Université de Berne, le capital du Qatar repose sur trois piliers: le sport, le commerce de l'énergie et le patronage.
- Sport: en 2022, la Coupe du monde de football au Qatar a fait entrer l'État du désert dans les foyers du monde entier par le biais de la télévision. Mais le Qatar se profilait déjà par le sport avant le deal de Gianni Infantino, estime Reinhard Schulze, expert de l'islam: «Cette tradition remonte à la fin du 19e siècle.»
- Commerce d'énergie: le Qatar fait du commerce de pétrole depuis 1939 et de gaz depuis 1984. Cela a rapporté des milliards à l'Etat du désert, avec lesquels le Qatar a par exemple construit le hub international de la compagnie nationale Qatar Airways.
- Patronage: avec la chaîne de télévision Al Jazeera, le Qatar a créé une alternative arabe à la chaîne américaine CNN. Elle est un instrument de soft power avec lequel le Qatar s'érige en voix arabe. Depuis 2017, l'émirat se voit de plus en plus dans le rôle d'un arbitre dans le monde arabe, analyse Reinhard Schulze: «L'émirat a profité du fait que les talibans, le Hamas ou d'autres voyaient dans l'émirat un courtier honnête.» Les talibans et les membres du Hamas peuvent aller et venir au Qatar.
Allié fidèle de l'Occident?
Parallèlement, le Qatar flirte avec l'Occident. L'Etat du désert se met en scène comme un allié fidèle, qui met, par exemple, une base militaire à la disposition de l'armée de l'air américaine. Et le Qatar entretient également de bonnes relations avec Israël, sous le radar.
Le soutien au Hamas s'est même fait avec la bénédiction d'Israël: en 2018, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a autorisé le Qatar à faire passer 15 millions de dollars américains dans des valises à travers des tunnels dans la bande de Gaza afin de payer les salaires de quelque 20'000 employés du Hamas. Israël cherchait peut-être à atténuer la crise humanitaire dans la bande de Gaza. Mais depuis l'attaque du 7 octobre, la communauté internationale regarde avec suspicion la coopération entre le Qatar et le Hamas.
Malgré le malaise provoqué par l'exposition jugée anti-israélienne à Genève, l'Etat hébreu reste dépendant du Qatar. La libération des otages actuels a été obtenue grâce à la médiation de l'Émirat. Plus de 130 otages sont toujours dans la bande de Gaza. Et pour les faire libérer, Benjamin Netanyahu a besoin de Doha.