Le nom de Claus Weselsky s'apparente à un tissu rouge pour de nombreux Allemands. Ces dernières semaines, le patron du syndicat des conducteurs de train (GDL) a paralysé pratiquement tout le pays avec des grèves ferroviaires d'une durée totale de 120 heures. Ceci afin d'imposer des revendications pour des horaires de travail plus courts et des salaires plus élevés. Les chances de succès sont grandes: la semaine prochaine, la Deutsche Bahn négociera.
Dans un entretien avec Blick, Claus Weselsky confie son admiration pour le système de transports publics suisse. Il explique comment il a lui-même déjà profité de ses avantages et pourquoi il n'agirait jamais aussi durement en Suisse qu'en Allemagne en cas de dysfonctionnements.
Claus Weselsky, par crainte d'une grève des chemins de fer, je suis venu vous voir à Berlin pour cette interview. Mais les employés de l'aéroport étaient en grève jeudi et ceux des transports régionaux vendredi, si bien que mon retour a dû être reporté. Que se passe-t-il en Allemagne?
De l'extérieur, on a bien sûr l'impression que le pays est en ébullition. Mais les différentes grèves n'ont rien à voir entre elles. Il s'agit d'un enchaînement fortuit, car les conventions collectives arrivent à échéance les unes après les autres, ce qui entraîne des négociations dans différents secteurs.
Les grèves des conducteurs de train que vous avez organisées ont eu de grandes répercussions au niveau national. Des millions de pendulaires sont restés bloqués, l'économie subit des dommages qui se chiffrent en milliards. N'est-il pas irresponsable de prendre tout un pays en «otage», comme l'écrivent les médias?
Si nous en sommes arrivés au point où un conflit social d'un syndicat est qualifié de prise d'otage, c'est à la fois regrettable et révélateur. Après tout, lors de la privatisation de 1993, les politiques ont supprimé le statut de fonctionnaire et introduit le droit de grève. Le débrayage est notre moyen de pression pour la consolidation, car la privatisation et le démantèlement des chemins de fer en pièces détachées ont entraîné une baisse continue du niveau des salaires, ce que beaucoup de politiciens ne comprennent pas.
Vous êtes également considéré comme «l'homme le plus détesté d'Allemagne». Comment vivez-vous avec cette réputation?
Pour aider les conducteurs de train à faire valoir leurs droits, il faut apparemment un bouc-émissaire. C'est la deuxième fois que je le suis. Mais il faut aussi tenir compte du fait que l'opinion publique ne correspond pas toujours à l'opinion publiée. De nombreux employés seraient heureux d'avoir un syndicat aussi fort derrière eux.
Le Parti libéral-démocrate allemand demande que les conducteurs de train soient remplacés par une intelligence artificielle. Les conducteurs seront-ils bientôt de l'histoire ancienne?
La question de savoir comment les trains pourront rouler automatiquement n'est pas résolue. Il faut aussi tenir compte du fait qu'en termes d'économie d'entreprise, un conducteur de locomotive qui transporte 800 passagers ou 2000 tonnes de marchandises est très efficace. Et ceux qui rêvent d'automatiser le métier de conducteur peuvent partir du principe qu'un chemin de fer est dirigé par des postes d'aiguillage numériques, tout comme les drones de combat sont aujourd'hui commandés depuis des centres de commandement.
En Allemagne, la ponctualité des trains est de 64%, en Suisse de 92,5%. Qu'est-ce qui ne va pas en Allemagne?
Très clairement, nous avons une mauvaise gestion. Ce à quoi nous assistons, c'est au broyage du système ferroviaire. Le rêve était de réaliser des bénéfices énormes grâce à la privatisation et à l'entrée en bourse. Personne n'a surveillé le tout, pendant des décennies, l'argent a été mal utilisé. La privatisation a conduit à un désastre.
Où a-t-on mal investi?
La Deutsche Bahn a par exemple fait des investissements au bout du monde. Ainsi, elle construit une nouvelle ligne au Venezuela, ou un trafic régional à Toronto. Nous sommes actifs partout dans le monde, mais nous ne maîtrisons pas notre propre système ferroviaire. La Deutsche Bahn a à sa tête des personnes qui ne sont pas du métier, mais qui sont fortement influencées par la Lufthansa ou infiltrées par le lobby automobile.
Il y a quelques jours, vous avez fait publiquement l'éloge du système ferroviaire suisse. Qu'y a-t-il de mieux?
En Suisse, c'est une décision populaire qui a permis de promouvoir les transports publics. Des milliards sont consacrés au développement de l'infrastructure. La fusion des chemins de fer, des bus et des tramways fonctionne parce qu'elle est surveillée et développée stratégiquement par une autorité digne de ce nom, à savoir l'Office fédéral des transports. Je trouve également remarquable que l'on n'hésite pas à changer des têtes au plus haut niveau en cas de mauvaise évolution.
Quelles sont vos expériences personnelles en Suisse?
Nous étions en randonnée en montagne et nous nous sommes trompés sur la distance à parcourir. J'ai donc regardé sur l'application et pris un car postal pour me conduire au train régional dans la vallée. J'ai pu revenir sans voiture à l'endroit où nous sommes partis, grâce à un système cohérent. Je trouve cela génial. Cela n'arriverait jamais chez nous.
La Suisse est aussi un pays à taille humaine, ce qui facilite la coordination des transports publics.
Petit ne veut pas dire plus simple. Le système suisse est très compliqué en raison de la géographie. Et ce que l'on réussit à faire à petite échelle, on peut le transposer sans problème à grande échelle.
La Suisse est-elle votre modèle en matière de chemins de fer?
Absolument. J'admire la clairvoyance avec laquelle le système de transports publics a été développé. En tant que pays de transit, la Suisse peut sans autre prélever des redevances sur les sillons, car elle a investi ces dernières années des milliards, voire des billions, dans une infrastructure qui est exemplaire. Le tunnel de base du Gothard est une chose fantastique. Et je comprends que les CFF ne laissent plus passer les ICE allemands en retard en Suisse. Car tous les cheminots savent que c'est la seule façon de protéger le système, qui souffre à chaque retard importé.
Mais tout ne fonctionne pas non plus en Suisse. La semaine dernière, deux trains ont été supprimés coup sur coup de Lucerne à Zurich.
En revanche, l'horaire est très dense. Lorsque j'ai participé à une assemblée, nous sommes ensuite allés dîner à Berne. Vers minuit, chacun a pris le train dans sa direction. Chez nous, le train s'arrête déjà à huit heures, huit heures et demie entre Berlin, la capitale, et Leipzig, la ville des médias.
Mais en Suisse, les mécaniciens de locomotive travaillent 41 heures et non 35, comme vous le demandez pour vos collaborateurs.
Il ne faut pas comparer des pommes et des poires. Les mécaniciens de locomotives suisses n'ont pas à supporter une telle densification du travail. Ils ont également un autre niveau de revenu et de vie que leurs collègues allemands. Nous avons ici un problème massif pour trouver la relève. La semaine de 35 heures est notre idée pour rendre le travail en équipe plus attractif.
Les CFF attirent les mécaniciens allemands en leur disant «Faites quelque chose de grand, faites bouger la Suisse avec nous.» Ce débauchage vous irrite-t-il?
Non, je ne peux en fait que conseiller aux collègues de le faire, car en Allemagne, ils ne vivent de toute façon en ce moment qu'une grande frustration.
Êtes-vous en contact avec des syndicats suisses?
J'assiste régulièrement à l'assemblée générale du Syndicat suisse des mécaniciens de locomotive et aspirants (VSLF), qui se déroule chaque année dans un lieu différent. Cette année, c'était à Brigue, sous un soleil radieux. C'était fantastique.
En Suisse aussi, les mécaniciens de locomotive sont mécontents, par exemple parce que les horaires des tours ont été rallongés. La Suisse devrait-elle se préparer à des grèves si vous étiez leur chef syndical?
En Suisse, je n'organiserais jamais de grève des mécaniciens de locomotive, et ce, parce que vous vivez en Suisse ce que nous avions aussi ici autrefois, à savoir une grande acceptation de la profession honorable de mécanicien de locomotive. En Allemagne, nous sommes confrontés à une américanisation qui souhaite donner des coups de fouet à la nation. D'un point de vue global, le système de valeurs suisse est plus consensuel. L'accent est mis sur la confrontation verbale et sur la nécessité de garder des cheminots motivés.
Après les négociations avec la Deutsche Bahn cette semaine, la paix est signée jusqu'au 3 mars. Allez-vous à nouveau frapper par des grèves si les négociations échouent?
Je n'en reparlerai seulement si nous ne parvenons pas à un compromis. Si je menaçais de faire grève maintenant, tout le monde dirait que Claus Weselsky ne veut pas obtenir de résultat. Nous tenons à ce qu'un compromis soit trouvé.