Ce livre est à ne pas mettre entre toutes les mains. Il faut le lire avec attention. L’annoter. S’attarder sur les comparaisons faites par David Djaïz et Xavier Desjardins entre le modèle de transformation écologique chinois (autoritaire et vertical), américain (capitaliste et innovateur) et européen (volontariste mais désordonné).
«La révolution obligée» (Ed. Allary) est, pour faire simple, un ouvrage de référence sur les défis économiques, sociétaux et politiques posés par la lutte imposée contre le changement climatique, surtout après la condamnation de la Suisse par la Cour européenne des droits de l’Homme. Mais on ne le referme pas sans se poser la question que les auteurs veulent éviter à coup de «on peut y arriver»: sommes-nous capables d’affronter tous ces changements?
Ce livre a surtout l’avantage d’une relative neutralité. Bien sûr, David Djaïz et Xavier Desjardins souhaitent que l’Europe réussisse à transformer son économie et à la décarboner. Ils sont aussi, tous deux, des démocrates convaincus que le modèle social européen doit être préservé. Restent les faits. Ce tremblement de terre écologique et climatique est décrit sans chercher à le rendre plus sympathique pour nos portefeuilles, nos vies quotidiennes, notre capacité à vivre encore ensemble et à conserver nos libertés.
Non. Trois fois Non. «La révolution obligée», comme l’indique le titre du livre, nous coûtera bien plus cher qu’on ne le croit, pour des avantages collectifs mesurables pour l’essentiel au niveau planétaire. A en croire les auteurs, nous allons en baver. C’est comme ça. Vous, moi et ceux qui nous entourent peuvent dire adieu à leur confort – pour ceux qui en bénéficient – acquis au fil de décennies de société de consommation.
Nos modes de consommation
C’est là, pardon, que le bat blesse un peu. Cet essai est foisonnant. Il est très documenté. Il est rempli de chiffres. Mais il lui manque un élément central qui, il est vrai, l’aurait transformé en nitroglycérine ambulante. «La révolution obligée» dit, en termes généraux, ce que nous allons perdre (les déplacements libres en voiture, notre alimentation à base de viande, etc.) sans entrer dans le vif du sujet: ce sont nos modes de consommation qui sont en cause. La théorie des auteurs est facile. Pour eux, ce ne sont pas les comportements individuels qui feront la différence. C’est à l’échelle des pays et des blocs régionaux que cela se joue.
Ah bon? Les citoyens vont être ravis de l’apprendre. Ils peuvent attendre tranquillement. Continuer d’aller au Fast-food, d’acheter des cosmétiques à gogo, de jouer la montre pour les transformations de leurs résidences… J’écris cela car il y a une contradiction dans cet ouvrage. On apprend que ça va faire mal. Mais on nous dit que le remède ne dépend pas vraiment de nous ou de ceux qui, aujourd’hui, continuent de gagner des milliards de milliards en nous vendant des équipements dangereux pour la planète.
Le retour de la guerre
J’ajoute un élément d’actualité. La guerre est revenue au premier plan. En Ukraine, au Proche-Orient, peut-être demain autour de Taïwan. Pas un mot sur cette donnée fondamentale. La transformation écologique est-elle compatible avec l’économie de guerre? Pour l’Europe, on peut avoir des doutes. C’est d’ailleurs là la leçon du livre, que les auteurs se sont efforcés avec talent de positiver. L’Europe est le continent qui a le plus à perdre, aujourd’hui, dans cette transformation. Le parallèle avec la révolution industrielle du XIXe siècle ne tient qu’à moitié.
A l’époque, celle-ci a été rendue possible par l’accaparement des ressources du reste du monde. Il n’y avait pas, en outre, de concurrence chinoise, turque, indienne, pour les produits en grande demande. Je vais vous faire un aveu: ce livre est indispensable pour comprendre la transformation écologique en cours. Mais je n’ai eu qu’une envie (coupable) après l’avoir lu: le ranger sur une étagère lointaine ou le poser sous une pile d’autres ouvrages sur mon bureau. Cette «révolution obligée» est une machine infernale à laver nos péchés d’hier et nos habitudes d’aujourd’hui. Or je ne suis pas sûr que nous sortirons mieux lotis, et plus heureux, de ce grand essorage.
A lire: «La révolution obligée» de David Djaïz et Xavier Desjardins (Ed, Allary)