C'est presque devenu un rituel familier. L'Ukraine demande des armes, puis les gouvernements européens et étasunien évaluent les risques pendant des semaines et des mois. C'est encore le cas aujourd'hui, avec la récente discussion sur les missiles de croisière Taurus allemands. D'une portée de 500 kilomètres, ils pourraient permettre aux troupes ukrainiennes de frapper des cibles stratégiques loin à l'intérieur des frontières russes.
«Attention au risque d'escalade!», entend-on à chaque fois qu'il est question de nouvelles livraisons d'armes. Finalement, les gouvernements occidentaux optent presque systématiquement en faveur d'un soutien accru à l'Ukraine. Certains tabous initiaux ont déjà été brisés, par exemple avec la livraison d'avions de combat polonais ou d'armes à sous-munitions étasuniennes.
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Toujours pas d'escalade
L'escalade tant redoutée n'a jusqu'à présent jamais eu lieu. Seule conséquence de ces longs débats: des armes livrées à l'Ukraine avec beaucoup trop de retard et en trop petites quantités. C'est du moins l'avis du gouvernement ukrainien de Volodymyr Zelensky.
De nombreux experts militaires partagent cette position. Les pays de l'OTAN sont «inefficaces» lorsqu'il s'agit de livrer des armes, explique Jack Watling, chargé de recherche pour la guerre terrestre au Royal United Services Institute, dans une analyse. «Le délai entre le moment où l'on a su ce qu'il fallait faire et celui où l'on a accepté de le faire s'est avéré très coûteux.»
Pas d'armes, pas de contre-offensive réussie
La contre-offensive ukrainienne est un parfait exemple pour illustrer cette problématique. Une grande partie des livraisons d'armes occidentales nécessaires à la contre-offensive n'a été décidée qu'en janvier. De ce fait, l'équipement n'est arrivé en Ukraine qu'en février ou mars, quelques mois seulement avant le début de la contre-offensive.
L'Ukraine a donc été contrainte de passer à l'offensive avant que ses unités n'aient eu le temps de s'y préparer correctement. Si la décision d'équiper et de former les forces armées ukrainiennes avait été prise au moment de l'évaluation des besoins en automne, il aurait sans doute été beaucoup plus facile pour l'Ukraine de reconquérir des territoires.
Dans le «Washington Post», le journaliste de données Brady Africk montre, cartes impressionnantes à l'appui, à quel point les livraisons tardives d'armes influencent encore aujourd'hui la situation sur le champ de bataille de la contre-offensive.
La Russie a un coup d'avance
En septembre dernier, l'Ukraine a demandé à ses alliés de lui fournir des chars occidentaux pour se défendre contre l'invasion russe. A ce moment-là, les images satellites montraient que la Russie venait de commencer la construction de fortifications.
Alors que les alliés discutaient de l'envoi éventuel de chars, Moscou s'y préparait en se fortifiant. Lorsque l'Ukraine a finalement reçu ses chars six mois plus tard, des centaines de kilomètres de fortifications étaient visibles depuis l'espace.
Puis le schéma s'est répété. Lorsque l'Ukraine a demandé des armes à sous-munitions étasuniennes en décembre dernier, la plupart des nouvelles fortifications russes se sont concentrées à proximité de la ligne de front. Six mois plus tard, lorsque l'Ukraine a finalement reçu lesdites armes des États-Unis, la Russie avait terminé de fortifier de vastes zones de l'est et du sud de l'Ukraine occupée, le long de la frontière et au nord de la Crimée.
Des tergiversations qui ont un coût
Les positions russes sont généralement constituées de tranchées, de barrages de véhicules et de mines terrestres. Cette configuration a des conséquences désastreuses pour les troupes ukrainiennes. Leur rythme est plus lent et les pertes humaines élevées. «Pour cent mètres que nous prenons, nous perdons en moyenne quatre à cinq soldats», a déclaré fin juillet au «Kiev Post» un fantassin qui combattait près de Donetsk.
L'offensive ukrainienne peut encore réussir. Mais le coût d'une potentielle victoire semble avoir fortement augmenté en raison de la léthargie occidentale. Il est désormais crucial que les partenaires européens et étasuniens de l'Ukraine se décident à livrer rapidement des armes. L'actuel débat autour des missiles Taurus au sein du gouvernement allemand n'est toutefois pas de très bonne augure: «Aucune décision à ce sujet n'est actuellement à l'ordre du jour», a déclaré vendredi un haut fonctionnaire du gouvernement au quotidien «Bild».