Ce n’est pas un secret. C’est même une évidence. Enlisée dans des tranchées dignes de la Première guerre mondiale, la guerre en Ukraine est aussi un terrain idéal pour les affrontements blindés de grande envergure. «Le relief plat, la présence de forêts pour dissimuler les tanks, la mobilité requise pour échapper aux drones… La situation sur le front ukrainien, aujourd’hui, ressemble à celle qui prévalait en juillet 1943, avant la bataille de Koursk», risque un officier de l’OTAN, rencontré à Bruxelles jeudi 12 janvier.
La mère de toutes les batailles de blindés
Koursk, ou la mère de toutes les batailles blindées. En juillet 1943, le terrible siège de Stalingrad (aujourd’hui Volgograd) vient de s’achever par le plus terrible échec de la Wehrmacht depuis le début de la Seconde guerre mondiale. L’armée rouge a encaissé le choc, au prix de très lourdes pertes. À Koursk, dans ce sud-ouest de l’actuelle Russie proche de la frontière ukrainienne, 6000 chars d’assaut (environ 3000 de chaque côté) vont s’affronter. La plus grande bataille blindée de l’histoire s’engage.
Koursk, ou le modèle pour l’armée ukrainienne qui, elle aussi, a encaissé le choc de l’invasion russe du 24 février 2022, en payant un lourd tribut humain? Le parallèle est justifié, au moins au vu des préparatifs militaires actuels, même si le nombre des blindés concernés n’a absolument rien à voir. Kiev ne peut compter, pour l’heure, que sur des tanks hérités de l’époque soviétique, dont le T64 produit jadis dans les usines d’armement de Kharkiv à partir des années 1960. Du côté du transport de troupes, l’armée ukrainienne a reçu des véhicules blindés turcs, allemands, français et polonais, parmi lesquels les plus modernes sont les TTB de reconnaissance turcs, avec protection anti-mines et mitrailleuses de 7,62 mm ou de 12,7 mm.
Mais c’est un autre scénario que Volodymyr Zelensky et son État-Major préparent, sans doute autour du premier anniversaire de la guerre: une tentative de percée, menée par des chars lourds. C’est pour cette raison que le président ukrainien a de nouveau réclamé à ses homologues européens des blindés de première catégorie, lors de sa rencontre à Lviv cette semaine avec son homologue polonais, Andrzej Duda.
La liste des tanks lourds de l’OTAN
Ces chars, l’OTAN en a dressé la liste. Trois noms de blindés européens apparaissent en tête: les Challenger britanniques, les Leopard II allemands (dont les armées polonaises et tchèques sont également dotées) et les Leclerc français. «Sans ce type de matériel, aucune grande offensive blindée n’est concevable, poursuit notre interlocuteur de l’OTAN à Bruxelles. S’ils parviennent sur le champ de bataille en revanche, beaucoup de choses changeront.»
Sauf que pour l’heure, les Européens renâclent. Seul le gouvernement de Londres, toujours en pointe dans l’aide militaire à l’Ukraine aux côtés des États-Unis, semble prêt à franchir le pas. Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, l’a reconnu ce mercredi 11 janvier: «L’heure est venue d’accélérer le soutien à l’Ukraine», après avoir évoqué la livraison d’une dizaine de chars Challenger II. Huitante de ces tanks seraient en effet disponibles pour l’exportation, à la suite d'une modernisation de l’arsenal anglais.
Rendez-vous à Ramstein le 20 janvier
Quid des Leclerc français et des Leopard allemands? Pour le moment, la réponse est non. La ministre allemande de la Défense, Christine Lambrechts, a justifié cette semaine l’envoi de blindés légers Marder, après avoir redit l’opposition de Berlin à une livraison ces blindés par la Pologne à l’Ukraine (celle-ci doit obtenir l’agrément de son fournisseur allemand pour la livraison à un tiers). Pas moins de 2000 chars Leopard sont aujourd’hui en service sur le Vieux Continent, dans les forces armées de treize pays européens.
Reste qu’une date figure sur l’agenda de l’Alliance atlantique: selon diverses sources, une décision sera finalisée lors de la réunion du 20 janvier du groupe de contact «Ramstein» des ministres de la Défense, dirigé par les États-Unis, qui regroupe les 50 pays qui approvisionnent l’Ukraine en armes létales toujours plus perfectionnées. Selon le «Financial Times», «l’envoi de chars légers et de véhicules de combat d’infanterie en Ukraine ne sera que le prélude à l’envoi de chars de combat principaux».
La nouvelle bataille de Koursk
S’engager dans une bataille blindée serait, pour l’armée ukrainienne et ses soutiens occidentaux, prendre un risque très important, vu les moyens de riposte de la Russie. Mais sans offensive blindée, pas de percée possible aujourd’hui, selon divers experts. «The Economist», le magazine britannique, y voit une nécessité: «L’Amérique, la France et l’Allemagne envoient enfin des armes plus puissantes – les Bradley Fighting Vehicles, les AMX 10 légers français et les Marder allemands. Mais cela ne suffit pas. Il s’agit de véhicules blindés de transport d’infanterie équipés de canons, plutôt que de véritables chars, qui ont un blindage plus résistant et des canons plus puissants. Pour vaincre la Russie, l’Ukraine aura besoin de plus: des chars lourds et des missiles à plus longue portée.»
La nouvelle bataille de Koursk pourrait donc avoir lieu. Avec, au-dessus du champ de bataille, le fantôme de celle qui eut lieu en 1943, remportée par l’Armée rouge, dont les troupes blindées nazies ne parvinrent jamais à enfoncer les lignes.