Kiev presque candidate
Ces problèmes que l'Ukraine va poser à l'Union européenne

Le statut immédiat de «candidat à l'adhésion» semble désormais acquis pour l'Ukraine. La Commission européenne l'a recommandé officiellement aux 27 États-membres de l'UE ce vendredi 17 juin. Le sommet de Bruxelles, les 23 et 24 juin, devrait confirmer ce premier pas.
Publié: 17.06.2022 à 16:18 heures
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Dernière mise à jour: 18.06.2022 à 11:40 heures
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (à droite), et le commissaire européen chargé de la politique de voisinage et d'élargissement, le Hongrois Oliver Varhelyi (à gauche) exposent les avis de la Commission sur l'éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le premier pas vers l’Union européenne (UE) est presque franchi pour l’Ukraine. Et il est de taille! En proposant, ce vendredi 16 juin, d’accorder sans délai le statut de candidat à l’adhésion à ce pays plongé dans la guerre par l’agression russe du 24 février, la Commission européenne a confirmé les déclarations communes faites à Kiev, jeudi 16 juin, par les dirigeants français, italien, allemand et roumain.

Problème: cette avancée diplomatique majeure s’annonce comme un casse-tête juridique, économique et politique pour les pays européens. Sans parler de la révolution qu’une entrée de l’Ukraine pourrait entraîner pour l’UE. Voici les problèmes assurés d'apparaître dans les prochaines années, entre Bruxelles et Kiev.

Une adhésion express pour des motifs d’abord militaires

La décision d’accorder le statut de candidat à un pays a déjà été prise rapidement dans le passé. Ce fut le cas pour l’Espagne et le Portugal, qui déposèrent leur demande d’adhésion en 1977 – deux ans après la fin des dictatures respectives de Franco et Salazar – et obtinrent une réponse favorable en 1978. Idem pour la Macédoine (l’un des pays des Balkans qui frappent à la porte de l’Union, comme l’Albanie, la Serbie et le Monténégro), qui a envoyé sa demande en mars 2004 et a obtenu une réponse favorable en novembre 2005.

L’Ukraine a néanmoins fait beaucoup plus vite. Sa lettre officielle de candidature a été expédiée par les autorités de Kiev le 28 février, quatre jours après le déclenchement de la guerre. Si les 27 pays membres de l’Union disent «oui» la semaine prochaine, le pays aura donc seulement attendu quatre mois pour mettre le pied dans l’entrebâillement de la porte. Quatre mois, sans qu’aucune vérification ou presque ne soit possible, compte tenu de la guerre et de l’impossibilité de mener les habituelles tractations diplomatiques entre Kiev et Bruxelles.

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Cette candidature TGV est justifiée au nom du combat que les Ukrainiens mènent pour défendre leur territoire et leur volonté de vivre dans une démocratie. Soit. Mais comment sera-t-il possible, demain, de dire «non» si un problème survient?

La question posée est celle de la dynamique. Si les 27 répondent à leur tour «oui», les 23 et 24 juin, à la demande ukrainienne, ils se retrouveront dans l’obligation d’accepter, plus ou moins, une négociation d’adhésion bâclée ou du moins tronquée, car tout laisse à penser que la guerre va continuer et que les ressources du pays vont lui être consacrées en priorité. C’est une voie d’adhésion parallèle que les Européens s’apprêtent en fait à inaugurer: une sorte d’autoroute justifiée par le fait que la sécurité du continent et la survie des démocraties se jouent aujourd’hui en partie à Kiev, devenue «la» capitale européenne.

C’est audacieux. Mais c’est aussi un défi, car le gouvernement ukrainien a, pour de bonnes raisons, un lien privilégié avec les États-Unis. Sa première obsession est par ailleurs sécuritaire. Or même si le traité de l'Union européenne prévoit, à son article 42.7, une clause de défense mutuelle («Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir»), l’UE n’est pas une alliance militaire. L’Ukraine est par ailleurs le premier pays à se voir accorder le statut de candidat alors qu’il est en guerre.

Un État que personne n’est capable d’évaluer

Il faut distinguer candidature et adhésion. Un pays candidat n’a pas à respecter tous les critères d’adhésion à l’Union européenne. Un pays qui intègre l’UE, en revanche, doit en théorie avoir été jugé «aux normes», à l’issue d’une longue période de probation. Rappelons par exemple que l’Espagne n’a été acceptée au sein de l’UE qu’en 1986, huit ans après sa demande d’adhésion! Le délai fut un peu plus long pour les ex-pays du bloc soviétique, qui mirent dix ans (de 1994 à 2004) pour intégrer le club. Et ce, alors que de nombreux observateurs ne les jugeaient toujours pas au niveau…

À titre de comparaison, des pays comme la Suisse et la Norvège, non-membres de l’Union européenne, pourraient en revanche espérer une adhésion immédiate ou presque… s’ils le voulaient. Rappelons que la Confédération, qui avait fait acte de candidature le 20 mai 1992 par une lettre envoyée à Bruxelles, a renoncé à celle-ci le 16 juin 2016, il y a tout juste six ans! Avant de rejeter, le 26 mai 2021, le projet d'accord institutionnel pourtant négocié d'arrache pied avec Bruxelles.

La difficulté, voire la mission impossible, posée par l’Ukraine est celle de l’évaluation de son État. Comment s’assurer du bon fonctionnement de l’administration, de sa capacité à assurer les services publics et à faire respecter l’économie de marché, alors que tout est conditionné, sur place, à l’effort de guerre?

Il ne s’agit pas de dire que l’État ukrainien ne fonctionne pas. Au contraire. Sa résilience, sa capacité à intégrer les nouvelles technologiques numériques est même impressionnante. Le pays reste debout et Vladimir Poutine en est le premier surpris. Mais pour le reste, comme évaluer sa justice, son système pénitentiaire, ses autorités chargées de contrôle les appels d’offres publics? L’Ukraine est un candidat TGV dont personne ne sait vraiment comment assurer la maintenance.

Un défi géopolitique risqué pour l’Union européenne

Cette candidature de l’Ukraine à l’Union européenne, en passe d’être acceptée, va transformer radicalement le bloc européen. Un seul chiffre: il y aura, sur le flanc est de l’UE, deux pays majeurs sur le plan démographique: la Pologne (38 millions d’habitants) et l’Ukraine (44 millions). Ensemble, les deux pèseront autant que l’Allemagne, plus que la France et plus que l’Italie!

Autre réalité: l’Union européenne deviendra, si elle intègre l’Ukraine, frontalière de la Russie, soit un casse-tête stratégique majeur. Jusque-là, seule la Finlande et les pays baltes étaient dans ce cas (il faut aussi ajouter l’enclave de Kaliningrad, entre la Pologne et la Lituanie). Mais il est difficile de comparer ici, car la frontière ukrainienne risque fort de ne pas être stabilisée avant longtemps par un accord de paix négocié, signé et accepté par les deux parties. L’UE héritera d’un second conflit gelé après celui de Chypre, l’île divisée depuis l’invasion turque de 1974.

Jouable? Non si la Russie ne l’accepte pas. C’est aussi simple que cela. L’UE, qui met aujourd’hui les bouchées doubles pour augmenter ses capacités communes de défense, devra impérativement trouver un accord avec Moscou pour procéder à cet élargissement. Ceci, alors que tant d’autres sujets sont jugés prioritaires par les 500 millions de citoyens actuels de l’UE, notamment sur le plan social.

D’où l’idée étonnante avancée par certains experts comme le professeur de droit genevois Nicolas Levrat: et si une poignée de pays fondateurs de l’Union (France-Allemagne-Italie par exemple) décidaient d’activer l’article 50 du Traité européen… pour sortir de l’Union et renégocier à plusieurs un accord d’association? Vous me suivez? L’élargissement de l’Union vers l’est et les Balkans aboutirait à une scission et à une recomposition. L’UE, version Ukraine 2030 (l’horizon souvent évoqué pour l’intégration) ne serait plus l’Union que nous connaissons.

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