Leur rencontre aura un peu l’allure d’un duel. C’est ainsi: pour avoir tant attendu avant de se rendre à Kiev, où plusieurs chefs de gouvernements européens en pleine présidence tournante français de l’Union (jusqu’à la fin juin), Emmanuel Macron se retrouvera, dès son arrivée jeudi en gare de Kiev, dans le viseur de Volodymyr Zelensky.
L’heure des remerciements
Côté pile, le chef de l’État ukrainien sera inévitablement tout sourire, d'autant que le locataire de l’Élysée vient accompagné du chancelier allemand Olaf Scholz et du président du Conseil italien Mario Draghi, tous deux très critiqués pour leur présumée indulgence envers Moscou. L’heure sera aux remerciements pour l’aide militaire accordée à l’armée ukrainienne par ces trois grands pays du continent. Mais coté face, des clarifications seront exigées. Macron, souvent caricaturé en téléphoniste contraint d’attendre que Vladimir Poutine prenne ses appels, ne pourra pas quitter Kiev sans avoir reprécisé le sens de sa fameuse mise en garde si controversée contre toute «humiliation» de la Russie.
L’indispensable accord entre Paris, Berlin et Rome
Un duel? La formule correspond bien à l’accueil qui devrait être réservé à ce trio de tête européen qui a quitté la frontière polonaise vers minuit dans un train-couchette. Et pour cause. Volodymyr Zelensky sait que rien ne pourra avancer, à propos de la demande d’adhésion de son pays à l’Union européenne déposée le 28 février 2022 (quatre jours après le déclenchement de la guerre), sans un accord scellé entre Paris, Berlin et Rome. Or s’il veut accélérer les choses, l’homme fort de Kiev ne doit pas, sur son terrain, laisser le choix à ses interlocuteurs. Il lui faut obtenir, ce jeudi, des mots qui ressemblent à un accord.
Notez bien le verbe «ressembler». Personne ne croit en effet qu’un quelconque engagement formel sera pris à Kiev sur ce nouvel élargissement que les 27 doivent aborder lors du prochain sommet européen à Bruxelles, les 23 et 24 juin. Restent les formules, les images, la communication… et surtout les livraisons d’équipements militaires lourds sans lesquels les Ukrainiens ne peuvent pas espérer renverser la donne de plus en plus défavorable dans le Donbass face à une armée Russe suréquipée et sans pitié. Ce duel-là, diplomatique, aura, côté Zelensky, un impératif de fermeté et d'exigence. «Nous mourrons pour vous. Ne l’oubliez pas» répétera-t-il à coup sûr devant les dirigeants français, italien et allemand. Avec, comme pour tout duel, ce qu’il faut d’avertissement et de mise en garde. Le rappel sera simple: une Ukraine battue serait une Europe exposée aux foudres du Kremlin. Impossible de l’ignorer.
La bataille politique très risquée de Macron
En pleine campagne électorale française pour les législatives, avant le second tour du dimanche 19 juin, Emmanuel Macron livrera pour sa part à Kiev une bataille politique éminemment plus compliquée. Le président français le sait: avoir tant tardé à se rendre en Ukraine est devenu un handicap. À lui, donc, de trouver la parade parfaite pour… esquiver ce duel, en sachant que son interlocuteur, acteur professionnel reconverti en politique, est un champion de la com' et des réseaux sociaux.
Une seule solution pour ça: venir avec un plan d’aides sonnantes, trébuchantes et léthales dont Olaf Scholz et Mario Draghi se porteront garants. Volodymyr Zelensky devra viser juste pour obtenir ce qu’il veut de ses interlocuteurs. Eux feront tout pour que cette mécanique du duel tourne court au plus vite.
Quelle sortie de crise possible?
Il fallait qu’Emmanuel Macron se rende à Kiev avant la fin de sa présidence tournante européenne. Ce sera chose faite ce jeudi soir. Avec deux interrogations: quelle sortie de crise possible? Et surtout, quel statut européen accorder à l’Ukraine? Car il en faudra bien un pour qu’elle accepte de patienter dans l’antichambre des négociations d’adhésion - sans que celui-ci (obligatoirement périphérique pendant plusieurs années) soit considéré comme une insulte aux centaines de soldats ukrainiens qui meurent chaque jour au front.
Soutenir la guerre sans la faire. Intégrer l’Ukraine sans le faire. S’opposer à la Russie sans «l’humilier». Jamais le «En même temps» macronien n’avait été mis à aussi rude épreuve. Pas sûr que Vladimir Poutine réponde demain au téléphone.
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