Rien n’est acquis après le premier tour des élections législatives françaises ce dimanche. Au coude à coude, la coalition centriste présidentielle Ensemble et la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) de Jean-Luc Mélenchon s’affronteront à coup sûr sans merci cette semaine, avant le second tour dimanche 19 juin. Car c’est bien entre ces deux forces politiques que tout va se jouer. Avec, sur la base des projections disponibles dimanche soir, un avantage au camp d’Emmanuel Macron.
Jean-Luc Mélenchon, l’homme qui a rendu possible l’alliance de gauche après avoir appelé les Français à «l’élire Premier ministre», peut néanmoins encore rêver de tout faire basculer. Un rêve qu’Emmanuel Macron va tout faire pour discréditer ces jours-ci, au vu des ruptures que les promesses mélenchonistes entraîneraient, sur fond de guerre en Ukraine. La France est-elle en train de changer avec ce scrutin? La réponse est oui. Voici pourquoi. Et voici surtout ce qui peut basculer dans les urnes si la NUPES parvient à obtenir une majorité d’élus.
Première victoire: avoir imposé le thème de la rupture
On dit que les Français rêvent toujours, depuis 1789, d’une prochaine révolution. C’est exactement cette flamme que Jean-Luc Mélenchon a réussi à rallumer, après son échec aux portes du second tour de la présidentielle. La rupture est en effet le thème majeur du programme de la NUPES et son chef l’a démontré dans son discours, listant les réformes qu’il imposera en France si sa coalition obtient les 289 députés indispensables pour une majorité à l’Assemblée nationale.
Mélenchon a promis le retour de l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans (contre 62 ans actuellement et en moyenne 65 ans dans l’Union européenne). Il a promis la revalorisation immédiate du salaire minimum mensuel à 1500 euros. Il a promis d’empêcher la réduction des dépenses publiques envisagées pour réduire les déficits et la dette, qui atteint désormais 116% du produit intérieur brut, un dangereux record (contre 31% en Suisse). Il a exhorté le peuple français à «déferler» vers les urnes dimanche prochain.
Le positionnement de Jean-Luc Mélenchon, tribun féru d’histoire, est celui du Front populaire, ravivant les souvenirs de 1936 ou les espoirs qui accompagnaient la victoire de François Mitterrand à la présidentielle de 1981. Dans les deux cas, les lendemains furent très douloureux. Mais la fibre révolutionnaire française vibre encore. La preuve par les urnes…
Deuxième victoire: avoir fait perdre sa boussole à Macron
Jean-Luc Mélenchon veut un débat télévisé entre les deux tours avec la nouvelle première ministre Élisabeth Borne. Logique. Le leader de la NUPES sait qu’il a de fortes chances de dominer face aux caméras cette technocrate issue du Parti socialiste, mais peu charismatique et très peu connue.
Le vrai duel politique de cette législative est toutefois celui que Mélenchon a engagé avec le chef de l’État, imposant en quelque sorte son agenda. C’est le grand changement survenu en cinq ans. En 2017, Emmanuel Macron était l’homme de la rupture et de la transgression. Il était celui qui jurait de «transformer la France». Il profitait de sa popularité auprès d’une partie de la jeunesse, dopée par son appétit pour l’économie numérique et son slogan de «start-up nation»…
Or en 2022, le président français apparaît isolé. Sa nette réélection du 24 avril, avec 58,5% des voix, ne s’est pas traduite en une approbation dans les urnes, faute d’un positionnement facile à comprendre. Le mois et demi entre la présidentielle et les législatives a tourné au fiasco avec le chaos survenu au Stade de France, et des bugs répétés au sein du gouvernement.
La principale proposition de ce chef de l’État, accaparé il est vrai par la guerre en Ukraine et la présidence tournante de l’union européenne (jusqu’à la fin juin), est le lancement d’un futur Conseil national de la Refondation qui regrouperait élus, partenaires sociaux et Français tirés au sort. Emmanuel Macron a perdu sa boussole réformiste. Il conserve la force de son ancrage européen. Il pilonne Jean-Luc Mélenchon sur ses compromissions passées avec la Russie de Vladimir Poutine. Il peut compter sur le soutien des entrepreneurs, soucieux d’être défendus, et des retraités, naturellement conservateurs. Mais il apparait dorénavant comme un président sans programme qui navigue à vue et joue beaucoup trop de la communication.
Attention: le Chef de l'État français est loin d’avoir perdu à l’issue de ce premier tour. Il a toutefois le dos au mur. Et, à nouveau, tout va dépendre de lui et de sa force de conviction. «Jupiter» n’a pas d’autre choix que de revenir sur le devant de la scène ces jours-ci pour contenir cette résurrection de la gauche en dénonçant son programme de promesses tous azimuts assurées de creuser plus encore les déficits.
Troisième victoire: sa revanche sur Marine Le Pen
Jean-Luc Mélenchon ne croyait pas pouvoir se qualifier pour le second tour de la présidentielle le 10 avril dernier. Or il a failli y arriver. Il lui a manqué 400’000 voix pour passer devant Marine Le Pen et défier Emmanuel Macron. Prendre une revanche sur l’ex-candidate du rassemblement national (RN) était donc très important pour lui, d’autant que leur rivalité est ancienne. En 2012 déjà, Mélenchon avait défié Marine Le Pen dans son fief législatif du Pas de Calais, où il avait été éliminé au premier tour.
Cette fois, c’est clair. Même si le RN obtient au moins les quinze élus indispensables pour constituer un groupe parlementaire, il ne jouera pas les avant-postes au sein de l’Assemblée nationale. Mélenchon peut aussi se targuer d’avoir tenu bon face à l’extrême droite, puisque le parti Reconquête d’Eric Zemmour subit un échec cinglant (l’ex-polémiste est éliminé au premier tour dans le Var). Il est aujourd’hui le chef du vote contestataire et populaire. Les candidats pro-Mélenchon sont même en position de séduire les électeurs lepénistes au second tour, malgré l’appel de Marine Le Pen à ne pas voter pour la NUPES. La revanche est prise. Reste à construire.
Jean-Luc Mélenchon a incontestablement réussi à déstabiliser Emmanuel Macron. Il peut rêver de marginaliser Marine Le Pen. Il peut surtout encore nourrir l’espoir qui, à 70 ans, lui permet de prétendre au poste de Premier ministre: faire basculer la France dans une alternance à gauche. Avec, à la clef, une cohabitation imposée à Emmanuel Macron.