Elle était un soleil. Il fut l’astre suprême des années de révolte hippie, là-bas, du côté de la Californie et de San Francisco. PDG de la chaîne francophone TV5 Monde – à laquelle participe la Suisse, actionnaire via la RTS à hauteur de 11% et où l’auteur de ces lignes intervient régulièrement – Yves Bigot nous propose un été d’amour fou, de rébellion musicale et de révolte des mœurs.
«Katrijn» (Ed. Encre de nuit) est un roman que les nouvelles générations de lecteurs liront comme l’on exhume des trésors enfouis. Il dit les passions révolues, le vent américain de liberté qui déferla sur l’Europe dans les années soixante. Jim Morrison, le chanteur des Doors, en était le héros et l’astre incontournable. L’homme à qui les femmes, à commencer par l’héroïne de ce roman inspiré de faits réels, étaient à l’époque prêtes à tout pardonner.
Le miroir féminin d’une époque
Katrijn est un prénom. Celui de l’héroïne, jeune néerlandaise morte en 1974 sur sa moto, tuée par un routier allemand. Le reste? Le road-movie est presque écrit au fur et à mesure que les pages du livre tournent. Katrijn était éprise de liberté. Katrijn est le miroir féminin de son époque. Drogue, rock’n’roll et poèmes de cette génération «Beatnick» qui défia toutes les règles établies, et surtout l’ordre de l’élite blanche de Washington. Yves Bigot, longtemps journaliste musical, brosse à travers son personnage le portrait d’une époque qui transforma la jeunesse occidentale en braises incandescentes.
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Les femmes rêvaient, les hommes disposaient
Les femmes rêvaient de disposer de leurs corps. Les hommes, solidement aux commandes y compris dans les groupuscules les plus gauchistes et révolutionnaires, s'imposaient pour en disposer. Vue des sages Pays-Bas, mais aussi de France, d’Allemagne ou de Suisse, l’Amérique était une terre promise d’interdits bousculés. Le LSD, cette drogue découverte par le chimiste suisse Albert Hoffman (mort à 102 ans en 1988), irriguait les cerveaux contestataires. L’amour, la mort et la révolte cohabitaient pour former le plus explosif des cocktails générationnels.
Les romans de l’été sont souvent des histoires d’amour. Et «Katrijn» en est une. Il dit l’itinéraire d’une sage fille de famille néerlandaise à la fois éloignée par les siens et aspirée par l’engrenage de la contestation sous toutes ses formes. Impossible, en le lisant, de ne pas réaliser l’ampleur du fossé qui sépare aujourd’hui ces années de braise de la contre-culture, sur fond de guerre du Vietnam, et notre décennie actuelle, dominée par les fondamentalismes et, plus récemment, la guerre russe en Ukraine.
Le cimetière de l’autorité
Katrijn, l’héroïne d’Yves Bigot, vit tout s’abattre devant elle: l’autorité paternelle, la morale des églises, l’ordre mondial remis en cause par le grand gâchis américain en Extrême-Orient. Sous ses yeux, dans les concerts et les fiévreuses soirées «backstage» des concerts californiens rythmés par les écrits de la «beat generation», Jimi Hendrix, Jim Morrison, Allen Ginsberg, Janis Joplin ou encore Joan Baez passaient leur temps à brûler les idoles de leurs parents. Un cimetière des valeurs traditionnelles à ciel ouvert. La contestation était le mot d’ordre. Plus rien de cela aujourd’hui. A San Francisco, la fameuse librairie City Lights existe encore et défend cet héritage. Mais les mots d’ordre autoritaires et communautaristes ont repris le dessus, rendus plus puissants encore par la surveillance numérique.
«Katrijn» est une histoire d’amour, de sexe, de révolte et de mort. Ainsi défilent les époques, contradictoires, voire opposées les unes aux autres. Yves Bigot lui-même, devenu patron d’une chaîne francophone condamnée à l’équilibre permanent, n’est plus le révolté d’hier, épris de son héroïne. La force d’un roman est de vous bousculer. Même brisé par la modernité, le miroir de «Katrijn» est, encore aujourd’hui, celui de la fabrique insatiable de nos rêves de liberté.
A lire: «Katrijn» d’Yves Bigot (Editions Encre de nuit)