«J'aurais été fusillé à l'époque de Staline»
Ce que l'on sait de Kevin Lik, ce jeune russe libéré lors d'un important échange de prisonniers

Début août, la Russie, l'Allemagne et les Etats-Unis ont échangé deux douzaines de prisonniers. Parmi eux; Kevin Lik, qui avait été arrêté pour haute trahison par les services secrets russes en 2023. Voici ce que l'on sait de cet adolescent russe, a priori inconnu.
Publié: 21.08.2024 à 15:23 heures
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Dernière mise à jour: 21.08.2024 à 16:16 heures
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Kevin Lik a été arrêté en Russie en 2023.
Photo: Lik family
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Denis Molnar

Kevin Lik a été arrêté en 2023 en Russie pour haute trahison. Avec le journaliste américain Evan Gershkovich, il faisait partie des 16 personnes libérées par la Russie le 1er août dans le cadre du plus grand échange de prisonniers depuis la guerre froide.

Tard dans la soirée du 28 juillet, le jeune homme de 19 ans était assis dans le bureau principal de la colonie pénitentiaire 14, située à l'extrême nord-ouest de la Russie. Le jeune homme a attendu six heures sans savoir ce qui allait se passer. «Ils vont peut-être me faire fusiller», a-t-il dit au gouverneur de la colonie. «Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer», lui a-t-il répondu.

Mais pouvait-il s'y fier? Un fonctionnaire du FSB, le service de renseignement intérieur russe, avait dit la même chose à l'adolescent il y a un an et demi, avant qu'il ne soit enfermé, raconte Lik dans un entretien avec la BBC.

Les promenades et les plantes étaient ses hobbies

Né en 2005 dans une petite ville de l'ouest de l'Allemagne, l'adolescent a la double nationalité germano-russe, d'une mère russe et d'un père allemand. Il est arrivé en Russie en 2017 avec sa mère. Kevin avait alors 12 ans. Dans sa nouvelle maison à Maïkop en Russie, il aimait se promener et s'intéressait aux plantes.

Né en 2005 dans une petite ville de l'ouest de l'Allemagne, il est arrivé en Russie en 2017 avec sa mère. Kevin avait alors 12 ans.
Photo: Lik family

Ce sont les élections présidentielles de 2018 qui ont éveillé son intérêt pour la politique. Un jour, sa mère, qui travaillait dans le secteur de la santé, est rentrée à la maison et a raconté qu'elle et ses collègues avaient été emmenées dans un bureau de vote et qu'on leur avait soufflé: «Votez Poutine ou nous vous prendrons vos bonus». C'est là qu'il a compris «qu'il n'y avait pratiquement pas de démocratie en Russie».

Il n'appréciait pas non plus qu'un portrait de Vladimir Poutine soit accroché dans presque toutes les salles de classe, alors qu'on répétait aux élèves que «l'école n'est pas un lieu pour la politique».

«Un professeur a dit que j'aurais été fusillé à l'époque de Staline»

Un an plus tard, Kevin Lik a échangé une photo du chef du Kremlin contre celle du leader de l'opposition Alexei Navalny, ce qui n'a pas manqué de provoquer un scandale. Sa mère a été convoquée et «un professeur a dit que j'aurais été fusillé à l'époque de Staline», se souvient l'adolescent. Un autre enseignant, bienveillant à son égard, lui avait alors conseillé d'être prudent.

La mère de Kevin Lik a ensuite décidé de retourner vivre en Allemagne, l'année de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Et rien ne s'est passé comme prévu. Pour pouvoir quitter le pays, sa mère a tenté de faire rayer le nom de son fils du registre militaire. Des policiers l'ont alors accueillie au bureau d'incorporation et l'ont ensuite emprisonnée pendant dix jours pour avoir prétendument juré en public. Seul, Kevin resté cloîtré chez lui. Et lorsqu'il sortait, il remarquait à son retour «que des choses avaient bougé».

Après leur libération, la mère et le fils ont tenté de rejoindre l'Allemagne via l'aéroport international de Sotchi, dans le sud de la Russie. Là, ils auraient été filmés par un homme portant une veste à capuche et un masque médical. C'est à ce moment qu'un minibus est arrivé: «Huit ou neuf agents du FSB en sont sortis. L'un d'eux m'a attrapé par le bras. Un autre s'est approché de moi, a montré sa carte d'identité et a dit: 'Une procédure pénale a été engagée contre vous en vertu de l'article 275: Haute trahison'». Kevin est tombé des nues. «J'ai réfléchi à tout cela, mais je ne comprenais pas comment j'avais pu commettre une trahison».

Voulait-il divulguer des informations sur un site militaire?

Kevin s'est souvenu du tueur du Tiergarten, Vadim Krasikov, détenu en Allemagne, et s'est demandé s'il ne pourrait pas être utilisé comme otage dans le cadre d'un échange de prisonniers. Des collaborateurs des services secrets lui auraient alors montré des vidéos d'une perquisition d'appartement au cours de laquelle un télescope cassé avait été trouvé. Les autorités ont émis l'hypothèse qu'il s'en servait pour photographier des véhicules militaires depuis la fenêtre de chez lui afin d'envoyer les images aux services secrets allemands. Ils ont pris son téléphone et son ordinateur portable et ont trouvé des photos de la base à côté de laquelle ils vivaient. Kevin a affirmé avoir pris des photos, mais sans avoir l'intention de les transmettre.

Complètement dépassé par la situation et poussé par l'avocat qui lui a été attribué, le jeune homme a finalement accepté de signer des aveux préétablis. Une façon d'éviter que «les choses n'empirent et qu'ils fassent pression sur ma mère. C'était clair qu'il n'y aurait pas de justice». Il a finalement atterri dans une prison de la banlieue de Krasnodar, où il a été brutalement «ligoté et battu» par d'autres détenus.

Le voyage vers une colonie pénitentiaire a duré un mois

Les autorités ont continué à enquêter sur lui. L'une de ses maîtresses a même témoigné contre lui. Il aurait ainsi voulu se rendre à l'ambassade d'Allemagne, effectué lors d'un voyage pour un concours à Moscou, et prendre contact avec des agents des services secrets.

Dix mois après l'arrestation de Kevin, fin décembre 2023, il a été reconnu coupable de trahison et condamné à quatre ans de prison dans une colonie pénitentiaire. Le voyage pour s'y rendre, à Arkhangelsk dans le nord de la Russie, a duré un mois, avec des haltes dans plusieurs prisons.

La mère et le fils ont tenté de rejoindre l'Allemagne via l'aéroport international de Sotchi, dans le sud de la Russie. C'est à ce moment qu'un minibus du FSB est arrivé.
Photo: FSB

Le 23 juillet, sur ordre d'un fonctionnaire de la prison, il a écrit une «pétition urgente» pour obtenir une grâce présidentielle. Le 28 juillet, il s'est retrouvé dans le bureau principal de la colonie pénitentiaire 14. Un jour plus tard, on est venu le chercher. C'est là que l'idée qu'il pourrait être échangé a germé dans son esprit, même si rien ne lui a été dit dans ce sens. Mais dans l'avion qui l'emmenait en Turquie, tout est devenu clair pour lui.

En Allemagne, après un examen médical, Kevin Lik a pu serrer dans ses bras sa mère, qui avait pris l'avion depuis la Russie. «Je lui ai dit que tout allait bien, qu'elle ne devait pas s'inquiéter et que je l'aimais beaucoup.»

Tous deux vivent désormais en Allemagne et Kevin termine sa scolarité: «Je n'ai pas de désir de vengeance, mais j'ai un très fort désir de participer aux activités de l'opposition» conclut-il aujourd'hui.

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