Le Kosovo sera-t-il un jour un État viable, bientôt quinze ans après son indépendance proclamée en février 2008 avec l'ardent soutien de la Suisse? Si oui, l'une de ses premières caractéristiques devrait être d'imposer aux véhicules un standard national pour les plaques d'immatriculation, si possible conforme aux exigences de l'Union européenne et du Système d'information Schengen, le SIS pour en déterminer les propriétaires.
Des plaques serbes, signe de résistance
Or qui dit plaques d'immatriculation dit, dans l'ancienne province serbe, quasi-déclaration de guerre. Depuis des semaines, la minorité serbe retranchée dans ses enclaves jure en effet qu'elle n'acceptera jamais de mettre ses véhicules en conformité avec la série de nouvelles mesures administratives et frontalières proposées par le gouvernement dirigé depuis 2021 par l'ex- leader indépendantiste Albin Kurti.
Les Serbes du Kosovo le soupçonnent toujours de vouloir les intégrer de force à une grande Albanie. Les barricades ont été redéployées. Les drapeaux serbes sont de retour. Les 120'000 membres de cette minorité, qui vivent aux deux tiers au nord du territoire, dans la région frontalière de la Serbie, jurent qu'ils n'abandonneront pas leurs plaques similaires à celles de leur nation d'origine, qu'ils considèrent toujours comme leur patrie.
Bruxelles une fois de plus dans l'impasse
A Bruxelles, où les dirigeants serbes et kosovars étaient réunis les 17 et 18 août sous l'égide de l'Union européenne, cette guerre des plaques ne s'est pas conclue par un cessez-le-feu. Le Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères, l'Espagnol Josep Borrell (lui-même originaire de Catalogne et anti-indépendantiste), espère maintenant trouver une solution d'ici au 1er septembre.
Un camouflet et un casse-tête, dans le contexte de la guerre en Ukraine qui voit la Serbie s'afficher, hors de l'UE, comme ouvertement favorable à la Russie: ses autorités refusent d'appliquer les sanctions communautaires contre Moscou. Une plaie, surtout, pour les 27 Etats membres de l'Union, dont cinq (Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie et Chypre) refusent toujours de reconnaitre l'indépendance du territoire kosovar.
Pour trafiquer, mafieux serbes et albanais s'entendent
En théorie, cette bataille des chiffres et des sigles à l'arrière des voitures, des camions et des motos ne devrait pas faire trembler l'Europe. Les Kosovars, après tout, sont un peu moins de 2 millions, soutenus financièrement par leur diaspora (200'000 vivent en Suisse) et par l'Union européenne, sans autre horizon prometteur que l'émigration pour les jeunes les mieux formés.
Avec l'euro comme monnaie, leur gouvernement est de facto pieds et poings liés à la Banque centrale européenne, qui est plutôt satisfaite du faible taux d'endettement de ce pays (moins de 30% du PIB), fermant les yeux sur le fait qu'une grande partie des revenus y est le produit de trafics et d'activités occultes. Avec des clans mafieux albanais et serbes trop heureux, dans l'illégalité, de travailler main dans la main
«Il devrait y avoir une tolérance zéro envers le crime organisé et la corruption, a plaidé au siège bruxellois de l'OTAN le Premier ministre Albin Kurti. D'avril de l'année dernière à juillet de cette année, notre police a mené au total 39 opérations, au cours desquelles elle a réussi à arrêter des dizaines de criminels du crime organisé, qui est multi-ethnique et multinational et transfrontalier, dont beaucoup sont Albanais, et pas seulement Serbes. Mais notre police ne distingue pas les criminels en fonction de leur identité nationale, seulement en fonction de leurs actes et de leur comportement.»
Risque d'engrenage pour la KFOR
Problème: la guerre des plaques d'immatriculation, si elle dégénère dans les enclaves serbes, pourrait de nouveau obliger la KFOR, la force de stabilisation de 4000 soldats déployée par l'OTAN depuis la fin de la guerre, en juin 1999, à intervenir manu militari. La centaine de soldats helvétiques présents au sein de la Swisscoy se retrouverait immédiatement sous pression.
Un engrenage que personne ne souhaite alors qu'un autre conflit, bien plus terrible fait rage plus à l'est, en Ukraine. Car qui dit violences dit déstabilisation, avec le risque que de possibles affrontements débordent sur les historiques sanctuaires orthodoxes serbes de ce territoire où la population albanophone est majoritairement musulmane. Ce que Belgrade exploiterait à coup sûr, tout comme Moscou, au nom de la défense de l'identité et de la liberté religieuses.
Indispensable «paix des plaques»
Le Kosovo, État viable? Piloté depuis 2011 par la Commission européenne, le dialogue Belgrade-Pristina est supposé bâtir des ponts entre les deux pays, tous deux candidats à intégrer l'UE. La Serbie est officiellement candidate. Son ancienne province, sur laquelle les Etats-Unis exercent une influence déterminante, n'est pour l'heure que «candidat potentiel».
Reste à les faire monter dans le même train, à défaut d'obtenir des immatriculations de voiture communes à l'ensemble de la population kosovare. «La communauté internationale ne veut pas assister à un regain de tensions. Les deux parties seront entièrement responsables en cas d'escalade sur le terrain. Il est temps de progresser vers une normalisation complète des relations», a prévenu Josep Borrell.
A défaut d'obtenir la paix en Ukraine, les Européens, avec l'appui de Washington, feraient bien de forcer les Kosovars albanophones et serbes à «la paix des plaques».