Une internaute marie son incompréhension et son indignation sur Facebook, ce dimanche: «WTF?!?! […] Je n’ai plus les mots. […] C’est à VOMIR!» La Vaudoise aurait voulu partager la vidéo YouTube de l’intervention de Lio, qui a vertement critiqué Gérard Depardieu et ses soutiens sur le plateau de «C l’hebdo» samedi soir.
Mais Facebook en a décidé autrement. «Votre message n’a pas pu être publié parce qu’il inclut du contenu que d’autres personnes ont signalé comme abusif», justifie le réseau social dans sa notice d’erreur.
Ce mercredi, Blick a essayé de poster le même URL, menant vers la chaîne YouTube officielle de l'émission de France 5: échec. «Impossible de partager votre contenu, car ce lien enfreint les standards de la communauté», appuie cette fois la plateforme de Mark Zuckerberg.
Star des années 80, l’interprète des tubes «Banana Split» et «Les brunes ne comptent pas pour des prunes» a visiblement froissé les fans de Gérard Depardieu. Et pour cause! Face caméra, la sexagénaire a traité la soixantaine d’artistes qui ont appelé à ne pas effacer l'œuvre de l'acteur dans une tribune publiée par «Le Figaro» le 25 décembre de «bouffons».
Et la présomption d'innocence, alors?
«Personne n’a parlé d’un autodafé, la présomption d’innocence existe et existera toujours, mais la voix des femmes doit être entendue et on ne veut toujours pas les entendre», a argumenté l'actrice luso-belge, signataire d’une contre-tribune parue dans «Libération» le 1er janvier. Lio — qui s’est dite victime de «comportements inadmissibles» — a aussi regretté que «cet ancien monde ait encore autant de pouvoir».
Pour mémoire, Gérard Depardieu — présumé innocent — est mis en examen depuis 2020 pour «viols» et «agressions sexuelles» à la suite d’une plainte déposée par la jeune comédienne Charlotte Arnould. Au total, le septuagénaire est accusé par 16 femmes de violences sexistes et sexuelles. Allégations qu’il nie en bloc.
Le 7 décembre est née une nouvelle polémique après la diffusion d’un «Complément d’enquête» sur France 2. Les images montrent notamment Gérard Depardieu — très graveleux — en train de sexualiser une fillette d’une dizaine d’années passant devant lui à cheval, lors d’un voyage en Corée du Nord, en 2018, aux côtés de l’écrivain Yann Moix.
Les rebondissements sont nombreux. Le président français Emmanuel Macron a pris la défense du «monstre sacré du cinéma», le 20 décembre. La RTS a, elle, décidé de suspendre la diffusion de ses films, provoquant un tollé, surtout à droite de l’échiquier politique. Le conseiller national Daniel Sormanni (Mouvement citoyens genevois) a même saisi l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) ce mardi.
Par ailleurs, depuis la publication de la tribune de soutien à l'icône, plusieurs personnalités qui l'avait paraphée ont pris leurs distances, ou tenté de le faire. Comme Nadine Trintignant, Carole Bouquet ou encore Pierre Richard.
Facebook se tait, que dit l'expert?
Le contexte est donc tendu, les fronts sont marqués. Y compris sur les réseaux sociaux, qui se nourrissent de ces débats de société virulents. Alors pourquoi bloquer un extrait d’une production du service public français, a priori dépourvu d’appel à la haine ou de fausses informations?
Meta, maison-mère de Facebook et Instagram, n’a pas donné suite aux sollicitations répétées de Blick. Pour tenter de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre, nous avons joint Stéphane Koch, expert romand des réseaux sociaux. «Il est très difficile de comprendre comment travaille Facebook pour la modération des contenus, c’est une boîte noire, amorce-t-il. Ici, il est probable qu’un traitement automatisé reposant sur l’intelligence artificielle ait joué un grand rôle.»
En clair, lorsqu’un lien est dénoncé comme abusif par un certain nombre d’utilisatrices et utilisateurs d'une plateforme, un robot le détecte et peut interdire sa diffusion. Et ce, «après l’avoir évalué grossièrement, en attendant qu’un être humain prenne — peut-être — une décision ultérieurement, notamment en cas de recours», précise le vice-président d'ImmuniWeb SA.
Signaler massivement, une stratégie politique
Des campagnes de «signalements massifs» sont parfois mises en place par des groupes, de tous bords, à des fins politiques. «Durant la pandémie, les anti-mesures sanitaires s’organisaient sur WhatsApp ou Telegram et lançaient des raids sur les pages des médias avec l’objectif de forcer les robots à retirer des contenus qui leur déplaisaient», exemplifie le spécialiste.
Une séquence peut aussi être bannie des réseaux sociaux si des images ou des mots-clefs jugés problématiques par des algorithmes surgissent. Également pour des raisons de propriété intellectuelle. Mais, dans le cas présent, ces hypothèses ne semblent pas valides. Pour rappel, Facebook spécifie que le lien en question a été signalé plusieurs fois comme abusif.
En outre, des extraits de la même vidéo, sous une autre forme, circulent librement sur Facebook. C'est donc bien cet URL précis qui parait poser un problème et non des mots-clefs ou des images particulières.
Pour Stéphane Koch, «ce type de bugs met en évidence le peu de moyens que Facebook investit dans la modération des contenus». «Meta n'engage pas suffisamment de personnel pour cela, et souvent dans des pays où les salaires sont extrêmement bas.»
La donne est-elle en train de changer?
Mais la donne pourrait être en train de changer. Le 25 août 2023 est entré en vigueur le Digital Services Act, législation européenne qui vise à encadrer les actions des géants de la Toile. Parmi les objectifs qui leur sont fixés: traquer de manière efficace les contenus haineux ou illégaux et faire preuve de davantage de transparence sur les processus internes.
Facebook a annoncé avoir engagé 1000 personnes dans ce but. Les amendes pour non-respect de cette loi pourront aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires. Comme le rappelait «Le Temps», le Conseil fédéral a affiché sa volonté de marcher dans les pas de l’Union.