Procès en appel accéléré
Marine Le Pen fait céder la justice française (et après?)

La cheffe de file du Rassemblement national a obtenu une victoire de taille après sa lourde condamnation en première instance, lundi 31 mars, pour «détournement de fonds publics». Son procès en appel sera accéléré en vue de l'élection présidentielle de 2027.
Publié: 01.04.2025 à 21:45 heures
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Dernière mise à jour: 06:23 heures
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Marine Le Pen devrait comparaitre pour un second procès en appel au début de l'année 2026.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Marine Le Pen vient d’obtenir une belle victoire politico-judiciaire. Moins de 48 heures après l’énoncé du jugement qui la condamne à une lourde peine de quatre ans de prison (dont deux ferme), 100'000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate, la patronne du Rassemblement national (RN) a forcé la justice française à bouleverser son calendrier. Ce qui lui rouvre la porte d’une quatrième candidature à l’élection présidentielle.

La nouvelle est tombée ce 1er avril, en début de soirée, et ce n’est pas un canular. Dans une France où les tribunaux sont engorgés, et où les procès en appel se tiennent en général de douze à dix-huit mois après le jugement en première instance, Marine Le Pen se voit offrir par le parquet une autoroute judiciaire.

Décision d’ici l’été 2026

La Cour d’appel de Paris a en effet annoncé qu’elle «examinera ce dossier dans des délais qui devraient permettre de rendre une décision à l’été 2026». En clair: le second procès de Marine Le Pen et des autres coaccusés ayant fait appel, dans le cadre de l’affaire des assistants du Parlement européen, devrait avoir lieu en tout début d’année prochaine.

Cette décision était sans doute la seule à prendre, alors qu’un vent de révolte souffle parmi les partisans du RN, ce parti national-populiste qui est aujourd’hui la première formation politique française, avec 120 députés à l’Assemblée. Après avoir, le soir du jugement, fait part de son intention de se battre jusqu’au bout lors du journal télévisé de TF1, Marine Le Pen a remis une pièce dans la machine à colère, mardi 1er avril, lors d’une réunion du groupe parlementaire qu’elle préside. Elle avait, en plus, choisi de l’ouvrir à la presse. Histoire de montrer sa détermination, à un peu plus de deux ans de la prochaine présidentielle de 2027 pour laquelle elle s’est déjà déclarée candidate: «Le système a sorti la bombe nucléaire, a-t-elle déclaré devant ses élus. Et s’il utilise une arme aussi puissante contre nous, c’est évidemment parce que nous sommes sur le point de gagner des élections.»

Malaise politique

L’accélération du calendrier judiciaire est aussi la réponse à un malaise politique français, européen et international après la décision du tribunal correctionnel de Paris d’infliger à Marine Le Pen une inéligibilité avec exécution immédiate, qui lui interdit dès maintenant de se présenter à tout scrutin.

En France, même le Premier ministre François Bayrou – relaxé en février 2024 dans une autre affaire d’utilisation frauduleuse d’assistants parlementaires européens – a reconnu son «trouble» devant le risque d’élimination politique de celle qui est la principale adversaire de son gouvernement. En Europe, tous les partis de droite nationale populiste, et des dirigeants comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban ou le ministre italien Matteo Salvini, ont apporté leur soutien à la cheffe de file du RN. Et au-delà des frontières de l’Union européenne, les autorités russes, mais aussi le président Trump ou l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro ont d’emblée contesté cette décision de justice accusée de priver les électeurs d’une nouvelle candidature de Marine Le Pen.

Une «bombe atomique», vraiment?

Cette «bombe atomique» menaçait-elle d’exploser? Les indices, en tout cas, étaient inquiétants. La présidente du tribunal, vilipendée sur les réseaux sociaux pour son admiration supposée envers l’ancienne juge anticorruption (puis candidate écologiste à la présidentielle 2012) Eva Joly, a dû être placée sous protection policière. Des manifestations pacifiques à l’appel du RN sont prévues ce dimanche en France. Une pétition de soutien à Marine Le Pen a été lancée sur le site de son parti. Difficile, dans ces conditions, de faire la sourde oreille.

Le paradoxe de l’affrontement entre la patronne du RN et les juges est donc que le procès qui vient de s’achever est en train, peut-être, de tourner en sa faveur malgré la gravité des faits, à savoir le détournement par ce parti de près de quatre millions d’euros du Parlement européen entre 2004 et 2016. Rien ne dit, bien sûr, que ce procès en appel version TGV lui sera plus favorable que les débats en première instance, conclu par un jugement argumenté d’environ 150 pages pour les 24 coaccusés. Marine Le Pen peut à nouveau perdre en appel, et sa peine d’inéligibilité avec exécution immédiate – prévue par une loi qu’elle a soutenue et votée comme députée – peut être reconfirmée, ce qui lui barrerait pour de bon la route à la présidentielle 2027.

Pression populaire

Le fait est, néanmoins, que la pression politique et populaire sur les juges s’annonce énorme. Jusque-là, Marine Le Pen ne s’est en effet pas engagée à respecter la décision de la Cour d’appel, qui pourra de toute façon faire ensuite l’objet d’un pourvoi en cassation. Ceux qui comptaient sur le marteau de la justice pour assommer la candidate du RN se retrouvent piégés. Le dépôt des candidatures pour la course à l’Elysée se fera en mars 2027. A moins qu’Emmanuel Macron quitte son poste avant la fin de son mandat, ce qu’il a toujours juré de ne pas faire. Le Pen, la justice, la République et les urnes: ce feuilleton français n’a pas fini de tourner au psychodrame démocratique.

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