Pour remplacer Barnier
Vu de Suisse, quel Premier ministre faut-il pour la France en crise?

Emmanuel Macron doit prendre la parole ce jeudi soir 5 décembre après la chute du gouvernement de Michel Barnier. Il doit maintenant nommer un nouveau Premier ministre pour le remplacer. Vu de Suisse, voici les qualités requises.
Publié: 05.12.2024 à 14:54 heures
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Michel Barnier aura été le Premier ministre français le plus éphémère, avec 91 jours de pouvoir au compteur.
Photo: IMAGO/Bestimage
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Richard WerlyJournaliste Blick

Puisque l’heure est de nouveau au casting et aux pronostics, allons-y! Qui, pour diriger le gouvernement français en pleine crise politique, après la chute du Premier ministre Michel Barnier, mercredi 4 décembre? Quelles qualités faudra-t-il à cette personnalité pour s’extirper de l’étau fatal des oppositions, entre le Rassemblement national (droite nationale populiste) et le Nouveau Front Populaire (la coalition de gauche, qui pourrait toutefois se disloquer)? Revue des défis qui attendent les candidats. Avec quelques noms en prime. Emmanuel Macron pourrait annoncer son choix dès son intervention télévisée de ce jeudi soir.

Le premier défi, pour le futur Premier ministre, sera de recoller les morceaux d’une possible coalition viable devant l’Assemblée nationale fragmentée en trois blocs: le Rassemblement national (RN), la droite alliée au centre (qui constituait le socle du gouvernement Barnier) et le Nouveau Front Populaire (l’alliance des socialistes, des communistes, des écologistes et de La France Insoumise). L’exercice sera donc le même qu’après le second tour des législatives, le 7 juillet. A l’époque, rappelons-le, Emmanuel Macron avait attendu deux mois, profitant de la trêve olympique. Il avait laissé aux manettes à son jeune Premier ministre et poulain Gabriel Attal jusqu’à la rentrée. Avant de nommer Michel Barnier le 5 septembre, sur la base d’une plate-forme de gouvernement orienté à droite, susceptible de s’attirer les faveurs du RN de Marine Le Pen avec des promesses de mesures fortes sur la sécurité et sur l’immigration.

L’ombre du RN et de LFI

Ce défi, aujourd’hui, se résume à deux questions. La première est de savoir s’il est encore possible de «travailler» avec le RN, ou s’il faut au contraire écarter toute discussion avec ce parti national populiste. La seconde est d’envisager, ou non, une alliance électorale différente, élargie au centre gauche, pour dissocier les socialistes (et peut-être les écologistes) du Nouveau Front Populaire. En résumé: quel gouvernement aura une meilleure chance de survie: celui qui restera orienté à droite toute, ou celui qui fera des concessions aux sociaux-démocrates. Si l’on part du principe que Barnier, adepte de la première solution, a échoué à cause du RN, il reste la seconde option. Les deux personnes souvent citées les plus aptes à tenter le coup sont aujourd’hui le centriste François Bayrou (qui entretient par ailleurs de bonnes relations avec Marine Le Pen) et l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve (qui n’est plus membre du PS).

Un comptable en chef

Le deuxième défi est économique et financier. Le nouveau Premier ministre devra impérativement rassurer les marchés financiers et les partenaires européens de la France, vu que le projet de budget pour 2025 est aujourd’hui en panne. Cela suppose donc une crédibilité internationale, et une capacité à bien coopérer avec Emmanuel Macron en matière économique.

Le président, qui a toujours dit qu’il ne démissionnera pas avant la fin de son second mandat, reste un chaud défenseur de l’attractivité économique du pays et de la productivité. Qui pour incarner ce message rassurant? François Bayrou, lui encore, peut remplir cette case, car il a toujours dénoncé l’endettement excessif de la France. Autre choix peu cité, mais possible: l’ancien Commissaire européen Thierry Breton, mais son libéralisme pourrait contrarier la gauche. On peut aussi penser, du côté socialiste, à l’actuel président de la Cour des comptes, l’ancien ministre des Finances Pierre Moscovici. Ou à l’actuelle présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde.

Troisième défi: tenir, être capable de négocier pied à pied les futurs textes de loi, à commencer par le budget aujourd’hui suspendu (il doit en théorie être adopté d’ici le 31 décembre). Il faut aussi quelqu’un de familier du paysage politique actuel, après la mauvaise expérience Barnier, Premier ministre sans doute plombé par son long passage à Bruxelles, et trop oublieux des contraintes nationales.

Un négociateur

Qui peut négocier? Pour Bayrou, beaucoup s’interrogent car l’homme a la réputation d’être cassant, ombrageux, et ses aspirations présidentielles sont connues, ce qui fera aussitôt de lui un concurrent potentiel pour Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. A l’inverse, l’actuel ministre de la Défense Sébastien Lecornu, issu de la droite mais compatible avec la gauche, présente de bons atouts. Sans doute est-ce aussi la raison de l’évocation de François Baroin, l’ex-maire de Troyes, l’un des caciques conservateurs apprécié pour ses réseaux et sa capacité de parler avec tout le monde. Un autre nom est revenu: celui de l’ex-Premier ministre Jean Castex, qui avait géré avec succès la sortie du pays du Covid. Il dirige aujourd’hui les transports publics parisiens.

Quatrième défi: s’imposer face à Emmanuel Macron. Autonomiser le gouvernement. Tracer un sillon politique différent. Si le choix est fait – enfin – d’associer une partie de la gauche, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve pourrait faire l’affaire. Certains susurrent même le nom de Raphaël Glucksmann, la tête de liste PS aux dernières élections européennes. La grande question sera alors, pour cette personnalité, d’obtenir de vraies concessions pour le camp social-démocrate, par exemple une remise en cause, au moins partielle, de la réforme des retraites de 2023.

Un gestionnaire

Cinquième défi: savoir gérer le pays, sans déclencher les tirs des leaders politiques déjà positionnés pour la présidentielle de 2027. Bien connaître l’administration. Maîtriser la question cruciale des services publics. Et surtout savoir renouer le contact avec les Français. C’est pour cela que l’option du gouvernement «technique» souvent évoquée apparaît bancale. Le pays ne peut pas se résumer à une équation budgétaire.

Cette option verrait Emmanuel Macron se tourner vers une personnalité de la société civile à la fois enracinée dans le pays réel, et bon connaisseur du fonctionnement politique. La piste de Thierry Beaudet, le président du Comité social et environnemental avait été évoquée à la fin de l’été. On pourrait imaginer une nouvelle main tendue au syndicaliste Laurent Berger de la CFDT. Ou le choix d’une personnalité comme Nicole Notat, l’ancienne patronne du même syndicat. Sauf que ces deux derniers choix s’opposeraient frontalement au RN. Ce qui en ferait des cibles immédiates de Marine Le Pen.

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