Peuvent-ils encore frapper?
10 ans après Charlie, tout savoir sur les réseaux de la terreur islamiste

Dix ans. Alors que Paris et la France se recueillent en mémoire des massacres de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, les 7 et 9 janvier 2015, la menace terroriste islamiste demeure. Entre autres, en provenance de Syrie. Décryptage.
Publié: 07.01.2025 à 12:06 heures
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Lee 7 janvier 2015, deux islamistes radicaux, les frères Kouachi, déciment la rédaction de Charlie Hebdo et tuent douze personnes.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Combien sont-ils encore? Pour tous les enquêteurs affairés, depuis dix ans, à traquer les commanditaires et les terroristes responsables de la vague d’attentat qui a ensanglanté la France à partir du massacre de «Charlie Hebdo», le 7 janvier 2015, un nom symbolise le doute et la peur.

Ce nom est celui d’une femme, Hayat Boumedienne, française d’origine algérienne, née le 26 juin 1988 à Paris. Sa dernière photo connue la montre, le 2 janvier 2015, soit cinq jours après l’attaque contre «Charlie», en train de franchir le contrôle de sécurité à l’aéroport d’Istanbul (Turquie), sans doute en partance pour le nord de la Syrie alors contrôlé par l’État islamique. Hayat Boumedienne était alors l’épouse d’Amedy Coulibaly, le troisième assassin de janvier 2015. Le 9 janvier, deux jours après l’attentat commis par les frères Kouachi, avec lesquels il était en contact, ce Français musulman radicalisé prend en otage les clients de l’Hyper Cacher, un commerce juif de la Porte de Vincennes. Il tuera quatre personnes sur place, avant d’être abattu par la police.

Itinéraire emblématique

Pourquoi cette fixation sur Hayat Boumedienne, dont l’ex-Procureur de Paris, François Molins, visage de la Justice lors des attentats de 2015, reconnaît qu’elle s’est «évaporée», sans affirmer si elle est aujourd’hui morte ou vivante? Parce que l’itinéraire de cette femme reste emblématique de celui des tueurs, de leurs proches ou de leurs complices, prêts à commettre de nouveaux attentats.

Ceux qui ont permis à l’épouse d’Amedy Coulibaly de s’enfuir, puis l’ont accueilli en Turquie et sans doute en Syrie, disposaient de réseaux très élaborés. A mi-chemin entre grand banditisme et armée secrète. Les terroristes du 7 janvier 2015 ont affirmé avoir agi au nom d’AQPA, la branche d’Al Qaïda (le mouvement fondé par Oussama ben Laden) au Yémen. Mais leur réseau s’entremêlait alors avec celui de l’État islamique, même si cette nébuleuse de la mort au nom d’Allah a ensuite connu de féroces combats internes. Dans son enquête très fouillée, «Les Espions de la terreur» (Ed. Harper Collins», le journaliste français Matthieu Suc le montre très bien. «Les attentats de 2015 (et ceux qui ont suivi) ne sont, écrit-il, que la partie émergée, la plus sanglante, la plus macabre, d’une lutte féroce qui se joue dans l’ombre, entre les services occidentaux et moyen-orientaux d’un côté, et l’État islamique de l’autre».

Organisation professionnelle

Le plus frappant, dans cette plongée au cœur de la mécanique terroriste islamiste dont beaucoup d’observateurs soulignent qu’elle reste encore loin d’être décapitée malgré dix ans de guerre au Levant et la récente chute du régime de Bachar al-Assad, est l’organisation bien plus professionnelle que ne le pensaient les experts occidentaux. Et, surtout, le chassé-croisé de relations personnelles, familiales, étudiantes, qui a rendu si difficile l’identification des tueurs.

Mathieu Suc s’attarde davantage, dans son livre, sur le réseau des terroristes du Bataclan et des terrasses parisiennes qui ont commis le carnage du 13 novembre 2015, à l’instigation du Belge Abdelhamid Abaaoud. Mais les frères Kouachi, comme Amedy Coulibaly, étaient tout sauf des amateurs. Ils s’étaient entraînés au maniement des armes de guerre. Les trois se fréquentaient depuis leur première rencontre en prison, en 2006. Ils pratiquaient la dissimulation. Ils avaient un mentor, l’Algérien Djamel Beghal, en résidence surveillée en France en 2015 puis expulsé du pays en 2018.

Ces réseaux de la terreur qui ont grandi en Syrie, sous la férule de l’État islamique, dans les fiefs alors contrôlés par ce dernier autour de leurs sanctuaires de Raqqa et Deir Ez-Zor, sont-ils aujourd’hui complètement démantelés? On sait que l’une des craintes des policiers européens, après la chute du régime Assad, est l’ouverture des camps de prisonniers contrôlés par les Kurdes, où se trouvaient des djihadistes de différents pays, dont la France, ainsi que leurs familles.

Cadres venus du Maghreb

Mais le plus redoutable est l’alliance qui a existé, au service de la terreur, des deux côtés de la Méditerranée. L’ouvrage de Matthieu Suc montre l’interaction entre les combattants nés en France, en Belgique, en Allemagne, en Suède ou en Suisse (pour au moins l’un d’entre eux cité dans le livre) et des cadres venus d’Algérie, de Tunisie, du Maroc ou de la Libye. Tous encadrés plus ou moins par des donneurs d’ordre syriens ou irakiens.

L’une des révélations de cette enquête est l’infiltration de ces réseaux par les services de renseignement occidentaux. Au moins un cadre du service d’espionnage et des forces spéciales de l’État Islamique, Abou Obeida, néerlandais d’origine marocaine, aurait été un espion du MI6, les services secrets britanniques. Problème: cet intellectuel polyglotte aurait été exécuté en 2014, avant les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, que ses renseignements auraient peut-être pu permettre d’éviter.

Après? L’accumulation d’indices et de faits concordants ne suffira pas à démasquer les tueurs. La force des réseaux de la terreur islamiste est de combiner une extrême dureté dans leurs rangs, et un amateurisme qui permet à leurs assassins et à leurs kamikazes de rester sous le radar des polices occidentales.

Djihad mondial

Dix ans après, l’État Islamique a largement été démantelé. Les nouveaux dirigeants syriens, qui ont évolué dans cette nébuleuse autour de leur chef Ahmed Hussein al-Charaa, semblent avoir abandonné le «djihad mondial». Les guerres intestines entre groupuscules, mais aussi la paranoïa qui s’est installée dans tous ces groupes, ont décimé les rangs des terroristes potentiels.

Sauf que la terrible leçon de 2015 demeure valable et sans réponse: la plupart des tueurs responsables des massacres, de Charlie Hebdo aux attentats du 13 novembre (puis des nombreuses attentats qui ont suivi à travers l’Europe) étaient des jeunes musulmans nés, scolarisés, éduqués sur le sol européen. La guerre au Levant leur a servi d’aimant. Ils se sont rués vers la mort par volonté de vengeance et par solidarité avec l'«Oumma», la communauté islamique. Est-ce différent aujourd’hui?

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