Emmanuel Macron peut enfin respirer. Le président français vient de remporter sa première victoire politique depuis sa dissolution controversée de l’Assemblée nationale le 9 juin. Cette victoire porte un nom: celui de Yaël Braun-Pivet, la présidente sortante macroniste de l’Assemblée, réélue ce jeudi 18 juillet pour un nouveau mandat, avec 220 voix contre 207 à son principal adversaire, le communiste André Chassaigne, soutenu par le Nouveau Front Populaire, la coalition de la gauche unie.
Cette victoire est en effet très significative dans un paysage politique français sorti disloqué des législatives des 30 juin et 7 juillet. Emmanuel Macron est, depuis les résultats du second tour, sous la pression de la gauche, arrivée de peu victorieuse avec 162 députés sur 577. Même si elle n’est pas encore parvenue à s’entendre sur le nom d’un candidat pour le poste de Premier ministre, celle-ci exige de former le futur gouvernement.
A l’Élysée, on attend
Le locataire de l’Élysée, lui, temporisait. Il se trouvait à Londres ce jeudi pour un sommet de la Communauté politique européenne, qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement de 46 pays du continent, dont la Suisse. Voir que la candidate de son camp centriste a réussi à se faire élire lui indique une direction, dans cette Assemblée où aucune formation ou coalition ne dispose de la majorité absolue de 289 sièges: la possibilité d’un gouvernement de centre droit, soutenu par la droite traditionnelle. Une ombre pèse toutefois sur cette élection à l’Assemblée: la participation au vote de 17 députés encore ministres, même s’ils ont démissionné. Certains constitutionnalistes français estiment qu’ils auraient dû rester en dehors du scrutin au nom de la séparation des pouvoirs.
Yaël Braun-Pivet a redouté jusqu’au bout d’échouer. Tout dépendait de la discipline de vote des députés de droite qui, en accordant quelques voix de plus à André Chassaigne par rejet d’Emmanuel Macron, aurait pu faire basculer le pays vers la gauche. Cela n’a pas eu lieu et au moins deux raisons sont évoquées pour l’expliquer.
La première tient aux promesses que la nouvelle présidente réélue de l’Assemblée nationale a sans doute faite à ses soutiens, en termes de postes à responsabilités (vice-présidents, questeurs…). La seconde tient au risque de voir La France Insoumise, le parti de gauche radical, participer à une coalition gouvernementale. La formation dirigée par Jean-Luc Mélenchon, forte d’un groupe d’environ 80 députés, est aujourd’hui le repoussoir pour les centristes qui rêvent de faire exploser l’alliance de gauche entre socialistes, écologistes, communistes et LFI. Ce qui, pour l’heure, n’a pas eu lieu.
Le dilemme de la gauche
La question maintenant, pour cette gauche française revigorée par les législatives, est de savoir comment gérer cette courte défaite dans l’hémicycle. Si elle persiste à réclamer le poste de Premier ministre, le risque est que le pays s’installe dans l’impasse, puisque Emmanuel Macron est constitutionnellement le seul à nommer le chef du gouvernement. Mais que peut-elle faire d’autre? Une option serait que LFI accepte de laisser des socialistes siéger au gouvernement, en échange de promesses de mesures sociales symboliques, comme l’abrogation de la controversée réforme des retraites de 2023. Pour l’heure, une candidate est en lice: Laurence Tubiana, une diplomate spécialiste du climat bien connue d’Emmanuel Macron. Mais que peut-elle peser dans un paysage politique si fracturé, où chaque loi devra trouver une majorité ad-hoc.
L’autre grande question laissée sans réponse par cette élection, premier acte politique majeur depuis les législatives, est l’attitude du Rassemblement national, premier parti de France, dont le groupe de députés est le plus important à l’Assemblée, avec 143 élus. Fait symbolique: c’est un député RN, doyen d’âge, qui présidait la séance inaugurale. Le RN va-t-il être boycotté et écarte de tous les postes à responsabilité de la représentation parlementaire? Va-t-il voter en fonction des projets soumis à l’Assemblée? Va-t-il jouer le rôle du premier parti d’opposition?
«Affaires courantes»
La France pourrait demeurer quelques semaines avec l’actuel gouvernement démissionnaire chargé des «affaires courantes». A moins qu’Emmanuel Macron ne sorte de sa manche un atout maître et cherche à profiter de l’opportunité pour désigner rapidement une personnalité issue de la coalition parlementaire qui a élu Yaël Braun-Pivet. C’est le paradoxe de cette France de 2024. Son chef de l’État est dévalué, isolé, démonétisé, d’autant plus qu’il ne peut pas se représenter en 2027. Mais c’est par lui, et seulement par lui, qu’une solution à la crise peut émerger s’il parvient, enfin, à écouter l’Assemblée et ses élus qu’il a, depuis 2017, toujours tenus à l’écart.