Suivez bien ces cinq faits dans les trois prochaines semaines. Ils vont décider de l’avenir de la France politique. Ils permettent aussi de comprendre pourquoi Emmanuel Macron s’est résolu à dissoudre l’Assemblée nationale. Une première historique après des élections européennes perdues. Et une première en termes d’offre politique, puisque l’extrême droite domine le pays.
Le fait inquiétant: Macron est le dos au mur
En France, le président de la République est élu au suffrage universel depuis le référendum constitutionnel de 1962. Son mandat n’est donc pas remis en cause par la perte d’une élection législative. Il a en revanche l’obligation de désigner un Premier ministre issu de la majorité parlementaire, ce qui a conduit dans le passé certains présidents à nommer des opposants. François Mitterrand avait nommé Jacques Chirac en 1986, puis Edouard Balladur en 1993, inaugurant deux périodes de cohabitation plutôt appréciées des Français. Jacques Chirac avait nommé Lionel Jospin en 1997. Idem, cela s’était plutôt bien passé.
Cette fois, changement radical. L’adversaire numéro un du président est le Rassemblement national, un parti d’extrême droite qu’il qualifie d’anti-européen et accuse de vouloir faire sortir la France de l’Union européenne. Bien sûr, rien ne dit que le RN obtiendra la majorité. Tous les sondages disent même l'inverse. Que peut-on attendre ? Sans doute que, fidèle à lui-même, Emmanuel Macron s’implique dans la campagne. Or, il polarise et divise. Le dos au mur ? Oui. Avec, en plus, un poignard dans le dos: le fameux «On ne les a pas essayé» qui favorise le RN.
Le fait terrifiant: une crise inédite est possible
La France dispose depuis 1958 d’un régime présidentiel appuyé sur une constitution de la Ve République que tous les experts jugent «incassable». En gros: celle-ci s'est jusque-là accomodée de toutes les situations, car elle accorde d’énormes pouvoirs au chef de l’État (plus que ceux du président des États-Unis, qui ne peut pas dissoudre l’Assemblée), et lui donne les moyens de gouverner. 2024 s'annonce toutefois comme un cru politique trés explosif. Que se passera-t-il si le RN et ses alliés l’emportent à l’Assemblée le 7 juillet? Peut-on exclure une situation où Marine le Pen ou Jordan Bardella, si l’on ou l’autre devenait Premier ministre, mettent en scène leur collision frontale avec le président et lui impose des mesures qui vont contre l’Europe communautaire? Autre hypothèse: le RN et la gauche radicale sont en mesure de bloquer le fonctionnement parlementaire. Le pays devient ingouvernable, pour la première fois sous la Ve République. A Paris, ce serait le chaos. A Bruxelles, ce serait la panique.
Le fait rassurant: le recours au «front républicain»
C’est le calcul d’Emmanuel Macron: trouver à l’issue des législatives, si son propre parti n’obtient pas la majorité absolue, une majorité de coalition solide qui exclut l’extrême droite et la gauche radicale. En clair: Macron deviendrait un président centriste et conclurait, à l’allemande, un contrat de gouvernement avec ses alliés. Ce serait une sorte de «cohabitation douce» entre le chef de l'État et ceux qui, notamment à droite, se sont jusque-là opposés à lui. Objectif: faire barrage à l’extrême droite en ressuscitant le «front républicain» de plus en plus fragile dans les urnes. Comment ? En battant le rappel des électeurs qui, ce dimanche, se sont abstenus à 48% pour ces Européennes.
Sauf que le président de la République a très peu de cartes en main pour y parvenir. Son second mandat présidentiel expire en 2027 et il n’a pas le droit de se représenter. Il est donc en bout de course. Pourquoi l’aider à se maintenir au pouvoir? Pourquoi lui permettre de désigner un éventuel héritier? On parle d'un accord passé avec l'ancien président Nicolas Sarkozy et avec le président du Sénat Gérard Larcher (le Sénat, lui, ne peut pas être dissous). Certaines rumeurs prétendent aussi que Macron pourrait aussi démissionner afin de se représenter. Faux répond le constitutionnaliste Didier Mauss dans la revue de Sciences-Po: «La Constitution est très nette: pas plus de deux mandats successifs pour le président de la République. La tradition constitutionnelle implique que tout mandat commencé est considéré comme un mandat complet»
Le fait cynique: Macron a gommé les Européennes
Ce président proeuropéen, toujours pressé de proposer sa vision de l’Union et de son avenir, vient de gommer les élections au Parlement de Strasbourg d’un trait de plume. Alors que la période qui s’annonce devait focaliser sur les nominations à la tête des institutions communautaires, tout va tourner autour des législatives.
Emmanuel Macron ne rend, ce faisant, pas un bon service à l’Europe. Pire: il renforce les arguments de ceux qui, comme le RN de Jordan Bardella, estiment que l’urgence est le débat démocratique national, et qu’il est le seul à compter. Dommage. Et dangereux pour sa crédibilité à Bruxelles où il va désormais apparaître très fragile face à ses homologues. Ironie du calendrier: un sommet européen crucial aura lieu les 27 et 28 juin. Pile avant le premier tour des législatives.
Le fait sportif: Macron veut sauver les JO, mais…
Le second tour des législatives aura lieu le 7 juillet, soit vingt jours avant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques sur la Seine le 26 juillet. Un calendrier plus que sportif. On a de la peine à le comprendre à l’étranger, mais en France, le calendrier politique est largement fixé par le président, qui peut renvoyer le Premier ministre à sa guise, et dissoudre l’Assemblée de la même façon (à condition d’attendre un an après une élection législative).
Ce dernier point est important: si le RN emportait une majorité de députés (contre 88 députés aujourd’hui sur 577), il la conserverait au moins pendant douze mois ! Et il exercerait donc le pouvoir jusqu’au minimum en juillet 2025.
Vous imaginez la scène: Macron président et Marine Le Pen première ministre en ouverture des Jeux de 2024, 100 ans après ceux de Paris 1924, qui étaient la fierté de Pierre de Coubertin. Terrible podium. A moins que le chef de l'État, s'il était de nouveau désavoué dans les urnes législatives, ne décide de démissionner. Il remporterait alors la médaille d'or... du coup d'éclat.