Ne vous y trompez pas: les Jeux olympiques n’ont jamais été seulement une affaire de sport. Ils ne l’étaient déjà pas sous l’Antiquité, lorsque les cités grecques, qui se faisaient la guerre, cessaient leurs hostilités pour continuer de combattre par athlètes interposés. Athènes, Sparte, Corinthe, respectaient alors la «trêve olympique» pour se battre par lancer de disques ou de javelots interposés. Or c’est cette même histoire, celle d’une compétition sportive éminemment politique, que nous raconte le formidable catalogue de l’exposition «Olympisme, une histoire du monde» (Ed. Martinière), que nous recommandons de visiter à tous ceux qui se rendent à Paris pour les JO qui s’ouvrent ce vendredi 26 juillet.
L’historien Pascal Blanchard, connu pour ses travaux sur la colonisation et les diasporas, est au cœur de cet ouvrage richement illustré de près de 600 pages. Et franchement, ce voyage-là est passionnant. Prenez 1924, il y a un siècle, lorsque les Jeux modernes créés par Pierre de Coubertin reviennent à Paris après les premiers JO de 1900, en marge de l’exposition universelle dans la capitale française.
En France, des JO pour «se relever»
La France doit alors, écrit Blanchard, «prouver qu’elle est capable de se relever de la Grande Guerre et d’assurer son rang de nation victorieuse». Le Comité international olympique, basé à Lausanne, est alors encore présidé par De Coubertin, dont l’associé artistique est un peintre suisse, Émile Gilliéron, auteur de l’affiche des premiers jeux contemporains de 1896 et concepteur de toutes les médailles.
Parler d’Olympisme et de politique ramène inévitablement aux JO de 1936, organisés par le régime nazi d’Adolf Hitler. «En réussissant à s’allier avec les élites du CIO, le gouvernement hitlérien se présente comme un hôte «pacifique» pour les sportifs et spectateurs du monde entier, tout en posant les bases de la Seconde Guerre mondiale», peut-on lire dans cet ouvrage très richement illustré et documenté.
Jesse Owens contre Hitler
La suite est connue: à Berlin, l’athlète noir américain James Cleveland, dit Jesse Owens remporte quatre médailles d’or et devient «un symbole face au racisme». Dans le livre, le récit de sa performance côtoie un texte dédié à la question des sportifs allemands dans la machine du Troisième Reich. Tout est écrit. L’Espagne en guerre civile a déclaré forfait le matin même de l’ouverture. Le Liechtenstein fait son entrée parmi les nations olympiques. Et lorsqu’il monte sur le podium, troisième du concours de gymnastique individuel, derrière deux sportifs allemands, le Suisse Eugen Mack reste les bras collés au corps alors que les deux autres font le salut nazi.
Chaque chapitre de ce livre porte sur une olympiade. Parmi les JO les plus politiques figurent ceux de Munich, en 1972, ensanglantés par la prise d’otages israéliens du commando palestinien «Septembre noir». On pense aussi aux JO de Moscou de 1980, boycottés par une partie des pays occidentaux (mais pas par la France) en raison de l’invasion soviétique en Afghanistan, un an plus tôt. Ou aux JO de Séoul en 1988, qui marquent le début de la démocratisation de ce pays d’Asie de l’Est jusque-là gouverné par une féroce dictature militaire pro-américaine.
James Bond y était
La scénographie de la cérémonie d’ouverture joue bien sûr un rôle décisif dans cette démonstration de force politique et diplomatique des pays hôtes. Comment ne pas applaudir à l’entrée en scène de la reine Élisabeth II aux Jeux de Londres en 2012, accompagnée de James Bond, alias Daniel Craig? Un formidable clin d’œil au monde entier de la souveraine et de son agent secret le plus légendaire. Ceci, huit ans après la féerie très géopolitique des Jeux de Pékin, en Chine.
L’intelligence de cet ouvrage collectif est de s’achever sur une question qui taraude tous ceux qui constatent le volume d’énergie, d’argent et de frustrations engendrés par chaque nouvelle édition des JO, «L’Olympisme a-t-il un avenir?», interrogent les auteurs. «Nombre de villes ont renoncé à leur candidature aux Jeux olympiques 2024 pour une double raison: opinion réticente et dépenses inconsidérées. L’histoire montre que des cultures peuvent s’épuiser. Les Jeux olympiques ont à se réinventer.» On attend, sur les rives du Léman, la réponse du CIO…
A lire: «Olympisme, une histoire du monde» (Ed de la Martinière). Ouvrage collectif de l’exposition au Palais de la Porte Dorée à Paris