Rien de pire, pour une puissante multinationale suisse, que deux sénateurs français fâchés. Or là, la fâcherie est complète, presque hystérique. Pour Laurent Burgoa (Les Républicains, droite) et Alexandre Ouizille (socialiste), Nestlé est allé beaucoup trop loin. La preuve? Le géant helvétique aurait été couvert par Emmanuel Macron en personne dans son affaire sur le scandale des eaux en bouteille produites par le groupe, dont le fameux Perrier. Cela justifie, à leurs yeux, la publication sur le site du Sénat de documents jusque-là confidentiels sur cette affaire.
«L’Elysée a ouvert les portes de certains ministères au groupe Nestlé», assènent les deux élus, qui ne décolèrent pas depuis que le plus proche collaborateur du président français, Alexis Kohler, a refusé de témoigner devant leur commission d’enquête sur les eaux en bouteille.
Kohler, surnommé «Richelieu» ou «le vice-président» vient de démissionner de son poste de secrétaire général de l’Elysée, pour partir «pantoufler» (l’expression française pour les hauts fonctionnaires qui atterrissent à de confortables postes dans le secteur privé) à la banque Société Générale. Il n’est donc plus, légalement, tenu d’obéir à cette convocation parlementaire. Sa réponse a donc été négative. «Un outrage au pouvoir de contrôle des élus», ont commenté les deux sénateurs.
Macron, banquier de Nestlé
Le cas de Nestlé, et celui d’Alexis Kohler, méritent des précisions. Le géant suisse de l’agroalimentaire a toujours jalonné la carrière d’Emmanuel Macron qui, comme banquier d’affaires chez Rotschild, s’occupa du rachat par Nestlé de Pfizer Nutrition. Alexis Kohler, plaque tournante du pouvoir exécutif français depuis 2017, est pour sa part mis en cause depuis plusieurs années pour les conflits d’intérêts dans la gestion de plusieurs dossiers de construction navale, compte tenu de ses liens familiaux avec la famille Aponte, propriétaire du groupe MSC (basé à Genève) qui l’employait au moment de la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Les deux hommes partagent donc une filière suisse bien gardée…
Les documents confidentiels en question, mis en ligne à la suite du refus d’Alexis Kohler d’être auditionné par les sénateurs, confirment que le géant helvétique disposait de très solides relais en France. La chaîne Public Sénat en a relaté plusieurs détails. «Le 11 juillet 2022, le secrétaire général de l’Elysée rencontre Mark Schneider, le directeur général de Nestlé, dans le cadre du sommet Choose France. L’échange porte notamment sur «le dossier Nestlé Waters», après la remise d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui épingle le groupe pour ses pratiques. Tout y est ou presque: l’Elysée sait qu’il y a un problème de qualité des eaux et Nestlé a mis les pouvoirs publics sous pression. »
Filtres illégaux
Plus grave selon Public Sénat: l’Etat était également au courant des raisons pour lesquelles Nestlé utilisait des filtres illégaux et des traitements de désinfection de ses eaux minérales pour éviter toute contamination bactérienne ou virale, tout en continuant à vendre les bouteilles sous l’appellation eau de source ou eau minérale naturelle. «La présidence de la République avait connaissance de contaminations bactériologiques, voire virologiques, sur certains forages», affirme le sénateur Alexandre Ouizille.
Matières fécales
Exemple aussi, cet email d’un conseiller à Alexis Kohler. Il pointe le fait que les sources qui alimentent Perrier sont «de plus en plus régulièrement polluées, notamment de sources bactériologiques, et en partie de matières fécales.»
Le rapport de la Commission d’enquête du Sénat doit être présenté le 19 mai. Il va, à coup sûr, faire beaucoup de bulles entre la France et la Suisse. Au plus haut niveau.