Et si le couronnement de Charles III était le meilleur remède contre la déprime du Brexit? Ce samedi, dans l’abbaye de Westminster à Londres, le nouveau monarque du Royaume-Uni montera pour de bon sur le trône occupé pendant 70 ans par sa mère, la défunte reine Elizabeth II. Une cérémonie «mondialisée», assurée de squatter les écrans et Internet, avec un déferlement d’images de traditions royales et de liesse populaire, vu les dizaines de milliers de spectateurs attendus sur l’itinéraire du cortège.
Cette ferveur royaliste, avec son tsunami de «merchandising» sous toutes ses formes (des autocollants aux médailles commémoratives en or et argent), peut-elle refermer la douloureuse parenthèse du Brexit ouverte par le référendum du 23 juin 2016, lorsque 51,89% des électeurs britanniques ont choisi de quitter l’Union européenne? Ce couronnement peut-il marquer le retour de «Cool Britannia», ce mouvement qui, dans les années 1990, porta la marque «Royaume-Uni» au pinacle mondial, et faire oublier le «Bregret» (Brexit + Regret) ressenti, selon un sondage du mois de mars dernier, par deux tiers des Anglais? Voici trois raisons d’y croire.
1re raison d’y croire: Charles III sera un roi européen
C’est une ironie. À 74 ans, Charles III ne ressemble pas du tout à un monarque à la mode. Il ressemble au contraire à un roi à l’ancienne, sanglé dans ses costumes fournis par les meilleurs tailleurs britanniques, et très attaché aux traditions royales.
Seulement voilà: ce roi qui va enfin monter sur le trône a, depuis longtemps, pris le pouls de la planète telle qu’elle est. Il a voyagé dans le monde entier comme prince héritier. Il s’est passionné d’écologie au point d’être, ce samedi, couronné de façon symbolique, à l'issue de la cérémonie multiconfessionnelle, par un chef améridien d’Amazonie, Uyunkar Domingo Peas Nampichkai.
Autre détail symbolique, le chef de l’État du Royaume-Uni a tenu à équiper la famille royale de voitures électriques: une Tesla Model S et une Jaguar I-Pace. Une borne avait même été installée à Clarence House, son ancien domicile londonien, sur le Mall, l’avenue qui relie Marble Arch à Buckingham Palace.
Charles III n’a évidemment pas la cote de popularité de sa défunte mère. Il n’a pas non plus la même légitimité historique, puisque Elizabeth II avait grandi pendant la Seconde guerre mondiale. Deux avantages toutefois, vis-à-vis des partenaires européens du Royaume-Uni: ce roi encore mal-aimé dans son propre pays a de bonnes relations avec tous les dirigeants du continent.
Après l’annulation de sa visite royale en France, pour cause de manifestations, sa venue en Allemagne, à la fin mars, a donné lieu à une série de commémorations pour bien montrer l’ancrage de son royaume insulaire au Vieux Continent. Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a d’ailleurs déclaré que «six ans après que le Royaume-Uni a entamé sa sortie de l’Union européenne, une ouverture d’un nouveau chapitre dans nos relations est venue».
Charles III a en plus l’avantage de travailler avec un Premier ministre certes «Brexiteur», mais résolu à réconcilier son pays avec ses partenaires: Rishi Sunak.
2e raison d’y croire: Charles III veut un renouveau britannique
C’est l’enjeu décisif. L’avenir du nouveau roi, et surtout son héritage, va dépendre du retour du Royaume-Uni sur la scène internationale. Charles III sait que son pays, rongé par une inflation supérieure à 10% par an et confronté à une forte colère sociale, ne peut pas avancer seul, dans un splendide isolement d’une autre époque.
Ce renouveau britannique est une condition «sine qua non» pour que son règne n’apparaisse pas seulement comme une transition entre celui de la Reine Elizabeth II et celui, à venir, de son fils aîné William, prince de Galles.
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Vouloir n’est pas pouvoir. L’économie britannique va mal. La place boursière de la City ne règne plus en maître sur les capitalisations européennes, puisqu’elle vient même d’être dépassée par la Bourse de Paris. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le Royaume-Uni sera le seul pays du G7 en récession en 2023, ce qui va peser sur les épaules du Premier ministre, Rishi Sunak, lors du prochain sommet à Hiroshima, au Japon, du 19 au 21 mai.
Autre point important, pour cette famille royale régulièrement montrée du doigt pour ses dépenses: en dopant le tourisme et la consommation, le couronnement devrait rapporter plus que les 250 millions de francs qu’il va coûter au gouvernement.
On connaît aussi l’attention apportée par le nouveau monarque au Commonwealth, qui réunit aujourd’hui 54 pays membres, presque tous d'anciennes colonies de l’Empire britannique. «Dans certains endroits, il y a de l’hostilité, mais le Commonwealth reste, je pense, pour le pays, un grand atout en termes de pouvoir d’attraction», jugeait récemment au micro d’Euronews l’universitaire Martin Farr. Le renouveau est donc au programme, malgré le côté si «old fashion» du souverain.
3e raison d’y croire: Charles III veut l’unité du pays
Le Royaume-Uni de 2023, post-Brexit, vit sous une double menace. La première est économique. La balance des paiements britanniques a connu, en 2022, un très lourd déficit, passant de -34 millions de livres en 2021 à -94 millions de livres. Idem pour le déficit commercial, même si celui-ci a en revanche été réduit par rapport à l’année précédente, de 108 millions de livres sterling en 2021 à 85 millions.
Cette situation est dans les mains du Premier ministre conservateur d’origine indienne, Rishi Sunak, avocat zélé du projet «Global Britain». Ce dernier a promis comme priorité pour 2023 de conclure des accords commerciaux avec l’Inde, le Canada, le Mexique, Israël et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
L’autre menace, plus profonde et plus existentielle, est celle d’un possible divorce avec l’Écosse, dont le ministre en chef, Humza Yousaf, d’origine pakistanaise et musulman, sera présent pour la cérémonie du couronnement à l’abbaye de Westminster alors qu’il a plusieurs fois exprimé ses faveurs «républicaines». Le leader du Scottish National Party (SNP) de 37 ans, arrivé aux commandes de la région à la fin mars, dirige un mouvement indépendantiste en perte de vitesse qui se heurte au refus obstiné de Londres d’autoriser la tenue d’un nouveau référendum écossais.
La capacité de Charles III à le convaincre de ne pas rompre avec Londres, du moins avant les prochaines législatives prévues au plus tard en janvier 2025, sera déterminante. À ce moment, la majorité de la Chambre des communes pourrait basculer dans les mains du Labour, le parti travailliste dirigé par l’avocat Keir Starmer. Ce qui mettrait fin à la mainmise des conservateurs sur le pouvoir depuis 2010, soit plus d’une décennie.