Sa tenue de combat est une télécommande. Sa matraque a la forme de caméras embarquées, capables de zoomer sur un groupe d’individués pour les localiser, puis les identifier. Sa bombe lacrymogène est sa capacité de survol au plus près des immeubles.
Ce policier français anti-émeutes n’est pas un «robocop» recouvert d’un uniforme ignifugé, et de protections aux pieds, aux genoux et aux jambes. Il n’a pas besoin de casque et de visière. Il opère depuis l’un des véhicules de commandement des forces de l’ordre. Il est invisible des manifestants et hors de portée des éventuels jets de pierre, de boulons ou de cocktails molotov. Il est pilote de drone. Et c’est grâce à lui que, lundi 1er mai, de nombreuses interpellations de casseurs ont pu avoir lieu du côté de la place de la Nation, à Paris.
De nouveaux venus au sein de la police
Les pilotes de drones sont des nouveaux venus au sein de la police. Lundi, plusieurs ont opéré à Paris et au Havre, le grand port atlantique où ils étaient aussi autorisés. Au Havre, où le maire est l’ancien Premier ministre français Édouard Philippe, leur temps de survol du cortège syndical a été restreint, pour s’achever à 14 heures. À Lyon et à Bordeaux, les tribunaux administratifs ont finalement interdit leur utilisation.
C’est donc à Paris, sous l’autorité du préfet de police, Laurent Nunez, que le recours à ces engins pilotés à distance a été le plus important, jusqu’à 19 heures. Et leur impact, selon l’intéressé, s’est vite révélé décisif, même s’ils demeurent un «moyen complémentaire» d’assurer le maintien de l’ordre. «Les drones ont permis de repositionner les unités de police et de constater où étaient les groupes à risque», a-t-il expliqué à France Info. Grâce à ces drones, il a été possible d'identifier «quatre nébuleuses violentes, quatre black blocs dans le pré-cortège. Nos caméras ordinaires embarquées n’auraient jamais pu faire ce travail.»
Manifestez, vous êtes filmés! Telle est maintenant la réalité sociale et policière en France, où l’utilisation des drones va être de plus en plus fréquente. Le préfet Laurent Nunez a déjà confirmé que ces aéronefs seront désormais de service pour chaque grand rendez-vous social ou sportif, au-dessus des sites ou des itinéraires concernés.
Leur fonction prioritaire? Permettre aux commandants des unités sur le terrain de savoir en temps réel où se trouvent d’éventuels groupes de casseurs. La rapidité de déplacement des drones a aussi l’avantage de permettre une véritable filature aérienne des individus présumés dangereux, et d’identifier leurs modes opératoires. Il existe aussi, depuis plusieurs années, des «drones parleurs» que la police utilise pour avertir les manifestants ou les passants.
Une mission à encadrer sur le plan juridique
Autre mission, qui reste à encadrer sur le plan juridique: l’assistance à l’identification des personnes interpellées et l’aide que les images peuvent fournir à la défense comme à l’accusation. «Le drone ne doit pas être au seul service de la police une fois que la manifestation est terminée. Ses images, qui peuvent aussi innocenter des personnes arrêtées, doivent être disponibles dans l’intégralité pour les comparutions immédiates de suspects», juge l’un des avocats qui avait, à Paris, fait recours en vain devant le Tribunal administratif pour empêcher leur utilisation. Pas moins de 406 policiers et gendarmes ont été blessés le 1er mai à travers la France, selon le Ministère de l’Intérieur. 540 personnes ont été interpellées dans le pays, dont 305 dans la capitale. Le nombre de manifestants blessés lors des charges policières n’est pas connu.
Les justifications du préfet de police Laurent Nunez:
Filmer est en tout cas tout, sauf innocent. On le sait lorsqu’il s’agit des caméras vidéo, que l’intelligence artificielle rend de plus en plus inquisitoriales. Un débat a eu lieu en France, à l’Assemblée nationale, pour l’utilisation de la reconnaissance faciale durant les Jeux olympiques d’été 2024, finalement approuvée. Quid des drones, même si de nombreux casseurs portent des cagoules et des foulards pour masquer leur visage?
«Le risque existe que les policiers fassent disparaître les preuves aériennes de leurs bavures», poursuit-on du côté des syndicats, dont les services d’ordre ont demandé, eux aussi, à disposer de leurs aéronefs pour surveiller les abords des cortèges. Utiliser un drone en direct est une chose. Avoir recours à ses images dans le cadre d’une procédure en est une autre. «Le traçage est indispensable, poursuit-on du côté de l’intersyndicale. Il n’y aurait rien de pire qu’un drone témoin d’une bavure policière ou d’un tabassage, dont les clichés ne seraient pas utilisés.»
L’un des problèmes déjà soulevés par les organisateurs de manifestations est la durée de conservation des images. Ces dernières ne sont enregistrées et gardées pendant sept jours «qu’en cas de violences». Mais qui contrôlera, demain, les pilotes de drones?
Le syndrome «Big Brother»
Le syndrome «Big Brother» fait peur. Pour leur nouvelle journée d’action et de grèves contre la réforme des retraites prévue le 6 juin, les syndicats français ont demandé à être informés en amont du nombre de drones qui survoleront le trajet. La police espère, cette fois, pouvoir les utiliser à Lyon et dans d’autres villes de province.
Des drones seront aussi de nouveau en action à Paris (où le survol de drones civils est interdit), mercredi 3 mai, au-dessus du Conseil constitutionnel qui doit se prononcer sur une nouvelle demande de référendum sur la réforme des retraites.