Ils ont chacun déposé une bombe. Et Eric Ciotti, président du parti «Les Républicains» a été le premier à exploser, puisqu’il vient d’être exclu par le bureau politique ce mercredi 12 juin.
Emmanuel Macron avait mis la droite traditionnelle française le dos au mur, dimanche soir, en décidant de dissoudre par surprise l’Assemblée nationale. Jordan Bardella l’avait plaqué au sol en obtenant plus de 32% des voix à la tête de la liste Rassemblement national (RN) aux élections européennes. Résultat: le camp politique conservateur est désormais en lambeaux, écartelé entre le président et celui qui, à 28 ans, est désormais son opposant N° 1. Eric Ciotti, partisan d’un accord électoral avec le RN, en a immédiatement fait les frais.
Élu en décembre 2022 président du parti Les Républicains (héritier du RPR de Jacques Chirac, puis de l’UMP de Nicolas Sarkozy qui décida de rebaptiser ainsi le parti en 2015), Éric Ciotti avait annoncé en direct à la télévision mardi qu’il souhaitait une alliance électorale avec le RN. Le député des Alpes-Maritimes, très proche des idées du parti national-populiste et directement concerné par la vague électorale en faveur de cette formation dans sa région, a signé l’arrêt de mort de son parti, qui compte 61 députés depuis les législatives de juin 2022. Aussitôt, plusieurs ténors de son parti s’étaient désolidarisés, y compris le très droitier président de la région Rhône-Alpes Auvergne (frontalière de la Suisse) Laurent Wauquiez. Avec cette question en suspens? Vont-ils maintenant se tourner vers Emmanuel Macron, dont le mandat expire en 2027?
Feu d’artifice politique
Le président de la République, lui, a continué le feu d’artifice politique qu’il a provoqué dimanche soir, avec la convocation de nouvelles législatives les 30 juin et 7 juillet, après vingt jours de campagne, soit le minimum prévu par la Constitution qui, dans son article 12, lui donne le droit de dissoudre l’Assemblée nationale à sa guise.
Emmanuel Macron a commencé en accordant une première interview au Figaro Magazine, hebdomadaire conservateur, dans laquelle il affirme: «J’y vais pour gagner», se dit résolu à regrouper autour de lui une majorité la plus large possible, et affirmant qu’il ne démissionnera pas, même en cas de défaite. Il a ensuite tenu une conférence de presse mercredi, durant laquelle il a plusieurs fois accusé Eric Ciotti de trahir les valeurs de son camp conservateur, et proposé aux élus LR de faire un pacte avec le «socle républicain et centriste» qu’il espère obtenir à l’issue des législatives du 30 juin et 7 juillet. Son parti Renaissance a déjà confirmé qu’il ne présentera pas de candidats contre les sortants du «champ républicain» à savoir tous ceux qui, sur le flanc droit de l’actuel camp présidentiel, ne se rallieront pas à la bannière de Marine Le Pen et Jordan Bardella.
L’explosion de la droite française ne veut bien sûr pas dire que ce courant politique conservateur sur les valeurs et plutôt libéral sur le plan économique (l’équivalent des libéraux-radicaux en Suisse), va disparaître du jour au lendemain. Cela veut surtout dire que le parti LR va se retrouver écartelé, et que ses élus vont devoir choisir. Ce qui revient à reconnaître que Bardella pour le RN d’un côté, et Macron de l’autre, tiennent en main leur destin électoral et politique.
Les mots de Sarkozy
L’ancien président Nicolas Sarkozy, qui avait toujours pour sa part refusé des accords avec l’ex-Front national pourrait prendre la parole dans les heures qui viennent. Lui, comme le président conservateur du Sénat Gérard Larcher, défend l’idée d’une coalition majoritaire ancrée à droite, avec pour Premier ministre une personnalité issue des rangs des Républicains.
Un choix déjà mis en œuvre, sur le terrain, par des personnalités comme le président gaulliste de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, ou le maire de Nice Christian Estrosi. L’un comme l’autre sont «Macron-compatibles».
Les thèses de droite plébiscitées
Le paradoxe est que l’explosion actuelle de la droite française intervient alors que le pays n’a jamais été aussi favorable à certaines de ses thèses. L’autorité, le rejet de l’immigration, la lutte contre l’insécurité sont des sujets de préoccupation qui arrivent en tête dans tous les sondages. A preuve: la droite dure, incarnée par le RN et Jordan Bardella, a dominé dimanche dans tous les départements français.
Le changement qui a eu lieu est en fait tectonique: ce sont les «plaques» politiques qui ont bougé. L’électorat conservateur et bourgeois traditionnel continue de voter LR, ou bien regarde du côté de «Reconquête», le parti fondé par le polémiste Éric Zemmour, dont Marion Maréchal dirigeait la liste aux Européennes (5,4%).
Mais cet électorat-là est de plus en plus réduit. Toute une partie des sympathisants de la droite ont, comme aux États-Unis avec Trump, été aspirés par la machine RN. Des élus comme Éric Ciotti ont donc compris que leur survie politique dépend de leur capacité à épouser cette nouvelle dynamique. En France, rappelons-le, les 577 députés sont élus au scrutin uninominal à deux tours, par circonscription. Ils peuvent donc se retrouver très vulnérables en cas de «triangulaires» qui divisent leur camp politique. D’où l’importance des désistements et des accords électoraux.
Un grand «boum»
Éric Ciotti va-t-il être suivi? A la tête du parti, la réponse est non. A la base, c’est une autre histoire car beaucoup de députés sortants redoutent de trouver en face d’eux des candidats du RN Pour beaucoup d’observateurs, la réponse sera dans la carte électorale. «Partout où les candidats Républicains sortants risquent de perdre si le RN se maintient, ils pactiseront. Or, vu la dynamique dont bénéficie le tandem Le Pen-Bardella, cela concerne de nombreuses circonscriptions.
Attendez-vous à un grand «boum»» pronostiquait ce mardi matin l’ancien ministre socialiste Jean-Marie Le Guen, jusqu’avant le coup d’éclat d’Éric Ciotti. Le «boum» a été immédiat. Et l’explosion ne fait que commencer. Avec le risque, pour le camp conservateur, qu’il s’agisse d’une bombe à fragmentation…