Comment s’y retrouver dans ce grand bazar politique déclenché, en France, par la décision surprise d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer de nouvelles élections législatives les 29 juin et 7 juillet? Est-ce à dire que, d’ici là, l’Union européenne se retrouve bloquée alors que la présidente de la Commission Ursula von der Leyen se présente déjà comme presque sûre d’obtenir un second mandat? Voici les dix questions (et leurs réponses) pour tout comprendre.
L’Union européenne est-elle bloquée?
Non. Les élections européennes se sont correctement déroulées dans les 27 pays membres de l’Union et la participation est en légère augmentation par rapport à 2019, à 51%. Mieux: les deux principales forces politiques sortantes au Parlement de Strasbourg sont confortées. Le Parti populaire européen (droite) obtiendrait 186 sièges sur 720 (+9) et les socialistes 135 sièges (-2). Ils n’obtiennent toutefois pas la majorité à eux deux, et devront donc compter, comme jusque-là, sur l’appui des deux groupes perdants: les libéraux-centristes pro-Macron (79 eurodéputés, -23 sièges) et les écologistes (53 élus, -18 sièges). Pour l’heure, la vague nationale populiste est nette, avec 131 élus répartis dans deux groupes différents. Mais rien n’est bloqué. La première réunion des 27 dirigeants de l’UE est prévue le 17 juin, suivie d’un sommet les 27 et 28 juin à Bruxelles.
Ursula von der Leyen est-elle réélue?
Non. D’abord parce que la présidente de la Commission européenne n’était pas elle-même candidate aux élections (contrairement à la Première ministre italienne Giorgia Meloni, dont la liste nationaliste est arrivée en tête avec 28,9% des voix). Ensuite parce que sa reconduction à la tête de l’exécutif communautaire dépend du Conseil européen, c’est-à-dire des Chefs d’État ou de gouvernement des 27 États membres. Ce sont eux qui doivent s’entendre sur son nom et sur les autres «top jobs» (les principaux postes de l’UE, comme le président du Conseil ou le Haut représentant pour les Affaires étrangères). Puis ils le soumettront au Parlement européen qui devra l’investir à la majorité. En 2019, von der Leyen était passée à neuf voix près. Elle a toutefois le vent en poupe. Le parti qui la soutient, le PPE (droite) est arrivé nettement en tête. Sa formation d'origine, la CDU allemande, a gagné haut la main avec près de 30% des voix. Macron, qui l’avait choisie en 2019 mais la supporte de moins en moins, se retrouve coincé.
Emmanuel Macron a-t-il perdu plus qu’Olaf Scholz?
Oui. Le Chancelier allemand a subi une lourde défaite électorale aux Européennes, puisque son parti social-démocrate, le SPD, ne réunit que 14% des voix. La victoire revient de loin aux conservateurs de la CDU (soutiens de von der Leyen) avec 30%, et le parti d’extrême-droite AfD plafonne à 16%, mais décroche la seconde position.
Sauf que Scholz n’est pas le dos au mur. Sa coalition avec les Verts et les libéraux est en mauvais état, mais elle est assurée de tenir jusqu’aux législatives de septembre 2025. Il vient d'ailleurs de refuser des élections anticipées. Plus sérieux encore: Scholz, s’il est battu en 2025, transmettra sans doute le pouvoir à la droite qui l’exerçait avant lui, sous Angela Merkel. Alors qu’en France, Macron se retrouve face à un parti, le RN, résolument nationaliste, anti-européen et sans expérience de gouvernement.
Macron va-t-il virer Gabriel Attal?
Non, pas pour le moment. En France, le président peut limoger le Premier ministre quand il le veut, et il peut dissoudre l’Assemblée nationale à sa guise (à condition d’attendre un an après les législatives, et de prévoir de 20 à 40 jours de campagne). Mais virer Gabriel Attal, 35 ans, nommé le 9 janvier, n’apporterait rien avant le scrutin des 30 juin et 7 juillet.
Au contraire. Attal peut-être un moteur de la campagne pour le camp présidentiel. Il va d’ailleurs se représenter comme député dans la banlieue sud de Paris. Il est évident en revanche que l’avenir de ce dernier est compromis à la tête du gouvernement. On voit mal en effet comment le parti présidentiel pourrait l’emporter seul le 7 juillet. Or qui dit alliés (pour obtenir la majorité absolue de 89 sièges) dit tractations, en particulier sur le poste de chef du gouvernement.
Jordan Bardella sort-il grand vainqueur?
Oui, c’est incontestable. A 28 ans, le chef de file du Rassemblement national aux européennes (il préside aussi le parti) a obtenu un score historique de près de 32%. Il est le candidat déclaré au poste de Premier ministre en cas de victoire du RN aux législatives. Il pourrait même devenir le candidat naturel à la présidentielle si Marine Le Pen devait être déclarée inéligible à l’issue du procès de son parti, qui démarrera le 30 septembre, pour utilisation frauduleuse d’assistants parlementaires et détournements de fonds publics. La Bardella-mania va donc s’accentuer, surtout au sein de la jeunesse. Question: le député européen tout juste réélu va-t-il abandonner Bruxelles et Strasbourg pour Paris et se lancer dans la bataille?
Bardella deviendra-t-il Premier ministre?
Pas sûr. Il est candidat à ce poste, car Marine Le Pen préfère miser sur la prochaine présidentielle. Son parti, le RN, est très bien placé pour les prochaines législatives. Sur 577 députés français, des sondages lui donnent déjà entre 280 et 350 élus (contre 88 en 2022). Si le RN obtient la majorité, «Jordan» sera incontournable pour l’Hôtel Matignon où il succéderait alors à Gabriel Attal, ouvrant une nouvelle période de cohabitation avec Emmanuel Macron, dont le second mandat présidentiel s’achève en avril 2027.
Bien sûr, Macron pourra choisir quelqu’un d’autre, mais… certains experts évoquent l’idée que Macron aimerait nommer Bardella Premier ministre car il pense pouvoir le dominer, et lui imposer des ministres de son choix dans les domaines réservés comme les Affaires étrangères ou la Défense. Bref, Macron croit qu'il peut gagner la cohabitation, mettre le RN en difficulté et lui faire perdre la prochaine présidentielle. Un parti très audacieux.
La France est-elle en crise?
Oui sur le plan politique. Ce n’est pas une crise institutionnelle. Les élections européennes se sont déroulées normalement, avec une participation en nette hausse de près de 53% pour ce type de scrutin. Emmanuel Macron en a tiré les conséquences démocratiques, comme le permet la Constitution, en annonçant la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles législatives. Jusque-là, tout fonctionne. L’arrière-plan de ce choix, et surtout le calendrier, laissent en revanche perplexe car ils sont explosifs. Pour la première fois de l’histoire, l’extrême droite est légalement aux portes du pouvoir. Et si le scrutin du 30 juin et 7 juillet n’accouche pas d’une majorité, le pays sera K.O., bloqué, à deux semaines de l’ouverture des Jeux olympiques le 26 juillet. La crise est bien au rendez-vous.
Mélenchon peut-il tout bouleverser?
Le leader de la France Insoumise (LFI) n’est plus député depuis 2022. Il était en 80e position (la dernière) sur la liste conduite par Manon Aubry qui a obtenu 10% des suffrages, en nette progression par rapport à 2019. Le tribun de la gauche radicale a pris la parole dimanche 9 juin pour se féliciter de la dissolution et exhorté à une nouvelle union à gauche. Sera-t-il entendu? Raphaël Glucksmann avance un autre nom: celui de l'ancine patron du sydicat CFDT Laurent Berger. Ce que veut Mélenchon est, en fait, une élection présidentielle anticipée qui lui permettrait de se présenter à nouveau. Sa force est d’incarner un «Front populaire», face à l’extrême droite. Il est aussi très critique sur l’Europe. Il mobilise l’électorat musulman et la jeunesse en parlant sans cesse du «génocide» qui se déroule selon lui à Gaza. Ce septuagénaire va encore peser très lourd sur le scrutin en France. Mais en prenant trop de place, il clive les électeurs de gauche.
Le fascisme est-il de retour en Europe?
Non. Les élections européennes qui viennent de s’achever, exercice unique dans le monde puisque le vote a eu lieu dans 27 pays simultanément, se sont déroulées démocratiquement. Aucun parti national-populiste, même les plus nostalgiques de la période fasciste et nazie (comme une partie de l’AfD en Allemagne), ne revendique la prise de pouvoir par les armes, ou même la sortie immédiate de l’Union européenne, comme l’ont fait les Britanniques avec le Brexit.
Restent deux constantes au sein de tous ces partis: le rejet viscéral de l’immigration et le refus de céder davantage de pouvoirs à Bruxelles. Leur parrain, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán (qui assumera la présidence tournante semestrielle de l'UE le 1er juillet), compare l’UE à l’ex-URSS totalitaire. Et beaucoup le suivent sur ce terrain. Pendant ce temps, un dirigeant étranger regarde cette crise politique avec le sourire: le président russe Vladimir Poutine, toujours friand de divisions et d’impuissance européenne.
Le modèle suisse de l’UDC est-il gagnant?
On peut dire ça. Christoph Blocher peut se frotter les mains: ses diatribes anti-immigrés, pour les frontières, pour les valeurs … sont désormais reprises en chœur par tous les partis nationaux-populistes européens qui ont le vent en poupe. Attention: il n’y a pas un UDC européen. Sur les sujets économiques (entre partis d’extrême droite libéraux comme aux Pays-Bas ou étatistes comme en France), sur l’Ukraine (entre partis pro-américains comme Meloni en Italie, ou pro-russes comme le Fidesz hongrois), ces formations sont divisées. Attention toutefois à leur regain de pragmatisme: tous savent qu’il leur faut être unis et voter ensemble au Parlement européen pour faire dérailler l’UE qu’ils détestent. L’UDC est sans doute prête à les conseiller.