Au bas mot, ce sera quarante milliards d’euros. En réalité, il faudrait que la France, en 2025, fasse soixante milliards d’économies budgétaires. Et en théorie, pour remettre le pays d’aplomb, c’est 150 milliards d’euros de dépenses en moins qui sont indispensables. Ce dernier chiffre est celui de l’Institut Montaigne, un cercle de réflexion libéral classé à droite. Il vient de faire la «Une» des pages économiques du Figaro. Mais c’est un chiffre sérieux. Car le dérapage budgétaire français conduira, s’il n’est pas stoppé, le pays dans le mur.
40 milliards d’euros d’économies à faire sur un total de dépenses publiques françaises de 453 milliards d’euros en 2024! 10% de dépenses en moins. Sur le papier, ce ne devrait pas être impossible pour un pays qui compte environ six millions de fonctionnaires, sur une population active de 30 millions, soit 20% des travailleurs. Et pourtant, cela ressemble à un Himalaya budgétaire pour le nouveau Premier ministre français Michel Barnier qui présente, à partir de ce jeudi 10 octobre, son projet de budget 2025 au Conseil des ministres, puis à la Commission des finances de l’Assemblée nationale où presque tous les partis politiques lui opposent un «non» catégorique.
Dette et choc fiscal
Le camp macroniste, responsable d’une augmentation de la dette de près de mille milliards d’euros en sept ans (elle atteint aujourd’hui 3300 milliards, soit 113% du Produit intérieur brut), refuse toute augmentation d’impôts. La gauche veut continuer d’injecter de l’argent public dans l’économie et recommande un «choc fiscal» qui pénaliserait les entreprises et les Français les plus riches, et sans doute au-delà. Le Rassemblement national (droite nationale populiste) défend le pouvoir d’achat à tous crins. Bref, tout le monde, en France, sauf le nouveau chef du gouvernement, a le pied sur le frein des économies. Alors qu’elles sont indispensables, faute de quoi le fardeau de la dette s’alourdira encore. En 2025, la France devra rembourser 50 milliards d’euros d’intérêts de sa dette. Soit plus que les économies budgétaires aujourd’hui envisagées!
Des propositions provocatrices
Les propositions faites par l’Institut Montaigne sont provocatrices. Mais elles tapent dans le mille. Selon ce cercle de réflexion, plus de 150 milliards d’euros d’économies peuvent et doivent être trouvés d’ici à 2050. La liste ne surprendra pas vu de Suisse, où la dette publique demeure inférieure à 50% du PIB annuel. Selon l’Institut, trente milliards d’euros pourraient être économisés en reculant l’âge de départ à la retraite à 66 ans (contre 64 ans depuis 2023). 29 milliards sont possibles en stoppant l’indexation des pensions. 25 milliards d’euros pourraient être supprimés dans les allocations aux collectivités locales. Six milliards d’euros reviendraient dans les caisses si la France, pays des arts culinaires, cessait de subventionner son secteur de la restauration via des allègements d’impôts…
Provocatrices, ces recommandations? Oui, au vu du climat social et politique, ce volcan sur lequel danse Michel Barnier depuis sa nomination le 5 septembre à la tête du gouvernement. Il est quasi-certain, d’ailleurs, que le nouveau Premier ministre n’aura pas d’autre choix que de faire adopter in fine son projet de budget aux forceps, via la procédure sans vote de l’article 49.3 de la constitution si décrié.
Le parlement, à quoi bon?
Alors, à quoi bon débattre au Parlement? La commission des finances de l’Assemblée nationale, dirigée par Éric Coquerel (France Insoumise, gauche radicale) et Amédée de Courson (Indépendant, venu de la droite) enrage déjà. Elle recevra ce jeudi 10 octobre le projet de loi de finances pour 2025. Et déjà, deux sujets divisent au plus haut point: la dérive des dépenses du système français de santé et les dépenses des collectivités territoriales. Sur ces points, deux sujets sont encore plus explosifs: l’explosion des congés maladie (les absences des employés pour raisons de santé coûtent en moyenne 15 milliards d’euros à l’État, via la Sécurité sociale) et l’aide médicale d’État accordée aux étrangers, y compris clandestins (entre un et deux milliards d’euros par an, selon les estimations).
Un chiffre est de toute façon indiscutable: celui du déficit public de la France. Il sera sans doute cette année de 6%, loin des 5,1% envisagé par le précédent ministre des Finances Bruno Le Maire, qui enseigne désormais deux jours par semaine à l’Université de Lausanne. 6%, soit le double des 3% requis normalement par les fameux critères du traité de Maastricht, fondateur de l’euro, la monnaie unique.
Comment passer à l’acte?
Alors, comment passer à l’acte et dépenser moins? Il est acquis que des hausses d’impôt exceptionnelles auront lieu. Michel Barnier a promis qu’elles seront temporaires. Ce sont les entreprises les plus profitables et les Français disposant d’un revenu annuel supérieur à 500'000 euros qui devraient être touchés. Suffisant? La réponse est non. Il faudra donc couper. Et là, le calcul est simple: en France, 57,3% des dépenses publiques sont consacrées aux dépenses sociales, soit dix points de plus que l’Allemagne (48,6%). L’État providence français peut-il par conséquent demeurer intact et aussi généreux? Le train de vie de l’État est aussi mis en cause. «Privilèges des élus, dépenses somptuaires, bidules administratifs: si les sources d’économies ne manquent pas, les mesures de saine gestion se font attendre», titrait le magazine Capital en décembre 2023, évaluant à 670 millions d’euros par an les économies possibles en rognant sur ces «avantages».
Michel Barnier a en tout cas pris le taureau budgétaire par les cornes. Le nouveau ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, est directement placé sous sa responsabilité. Les dépenses publiques seront donc sa mission prioritaire.