C’est parti pour la valse entre le gouvernement de Michel Barnier (73) et le Rassemblement national. Une valse qui se danse à l’Assemblée nationale, et qui pourrait bien fort mal se terminer pour le nouveau premier ministre Français. La partenaire forcée du chef du gouvernement se nomme Marine Le Pen (56). C’est elle qui peut, à tout moment, l’obliger à démissionner si son groupe de députés (le plus important) vote une motion de censure.
Le premier test aura lieu ce mardi 8 octobre. Le parti socialiste va, au nom de la gauche unie, proposer de renverser le gouvernement. Il peut compter sur 193 députés, plus quelques ralliés. Si les 126 députés du RN votent aussi la censure, Michel Barnier n’aura qu’une solution: ressortir la lettre de démission que, dit-on, il avait préparé pour Emmanuel Macron lorsqu’il rencontrait des difficultés pour désigner ses ministres. Sauf que pour le moment, le RN a promis d’attendre avant de cogner à l’Assemblée.
La valse Barnier-Le Pen est en effet plus que délicate. D’abord, parce que cette musique ne plaît pas du tout aux centristes du camp macroniste (environ 150 députés), pour lesquels le RN est un parti à rejeter à tout prix. Ensuite parce que le premier ministre doit, lui aussi, cohabiter dans son gouvernement avec une aile de droite dure, représentée par son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Pour faire simple: le nouveau patron de la police et des forces de l’ordre, catholique vendéen arc-bouté sur les valeurs d’ordre, est persuadé qu’il faut aller séduire les électeurs de Le Pen. C’est pour cela qu’il a, depuis sa nomination, plusieurs fois donné des coups de menton et même affirmé que «l’État de droit est essentiel à la démocratie, mais il n’a jamais été figé».
Droit d’asile
La porte, pour Bruno Retailleau, est ouverte pour remettre en cause les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme, ou des dispositions juridiques qui compliquent trop l’expulsion des immigrés clandestins déboutés du droit d’asile. Bref, un refrain proche de celui de Marine Le Pen. Sauf que celle-ci joue à la présidente, et refuse donc cette surenchère. «Je dois exprimer une divergence majeure avec notre ministre de l’Intérieur. Ce n’est pas l’État de droit en tant que tel qui doit être contesté, c’est tout le contraire a-t-elle tonné à Nice. Nous en sommes les garants, au sens que lui ont donné les plus brillants philosophes européens des siècles passés.» Un recadrage en bonne et due forme.
Pour l’ex-candidate du RN aux élections présidentielles de 2012, 2017 et 2022 (battue au second tour les deux dernières fois par Emmanuel Macron), le défi est en effet de tout faire pour apparaître respectueuse du droit et de la justice. Au moins en apparence. Au moins durant son actuel procès pour détournements de fonds publics et utilisation abusive d’assistants du parlement européen par son parti.
Son procès, aux côtés d’une vingtaine de coaccusés, s’est ouvert à Paris lundi 30 septembre. Il devrait durer jusqu’au 27 novembre. Marine Le Pen a promis d’y assister en personne le plus souvent possible. Les audiences ont lieu trois demi-journées par semaine. Son planning automnal sera donc très judiciaire.
S’en prendre à la justice
La conséquence: bousculer le gouvernement maintenant, et s’en prendre à la justice ou à l’administration sur les migrants, ne lui apporterait rien. Au contraire: cela pourrait compliquer sa tâche. Le Rassemblement national a au contraire intérêt à démontrer aux Français qu’il les défend, en s’impliquant dans le débat budgétaire qui va démarrer cette semaine, sur fond d’un besoin crucial d’économies.
La réduction des dépenses publiques est au programme. Michel Barnier l’a répété à plusieurs reprises: les économies représenteront deux-tiers de l’effort budgétaire indispensable, tandis qu’un impôt sur la fortune et les grandes entreprises sera réinstitué sous peu. L’orchestre du RN joue donc une musique qui lui convient: il attend un faux pas du gouvernement, ou une crise ouverte avec le bloc central. Marine Le Pen ne joue pas en attaque, mais en défense.
Maîtresse des horloges
Cette stratégie a un but, toujours le même: faire présidente. Démontrer que le RN n’est plus un parti dont l’arrivée au pouvoir entraînerait une crise à tous les échelons du pays. Marine Le Pen sait qu’elle est, au Palais de justice de Paris, sur le banc des accusés. Elle sait que, sur l’immigration, plusieurs pays européens réclament désormais de nouvelles règles plus expéditives en matière d’expulsion. Mieux vaut dès lors attendre. Ses idées n’ont en rien changé. C’est de tactique qu’il s’agit.
Depuis les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, le maître des horloges, en France, n’est peut-être plus Emmanuel Macron.