Non coupable. Ou plutôt, pas plus coupable que les autres partis politiques français qui, confrontés à la législation sur l’emploi des assistants parlementaires européens, ont pu, à tort, utiliser ceux-ci dans le passé à des missions nationales. Voici ce que va expliquer aux juges Marine Le Pen, 56 ans, à partir de ce lundi, au Palais de Justice de Paris. Son procès, et celui de 26 autres cadres et personnalités du Front national (les faits se sont déroulés avant que le parti soit rebaptisé Rassemblement national), dont son père Jean-Marie Le Pen, 96 ans, devrait durer deux mois et décider de son avenir politique en vue de l’élection présidentielle de 2027.
Marine Le Pen et ses 26 autres coaccusés se retrouvent au tribunal correctionnel pour avoir détourné environ trois millions d’euros de fonds du Parlement européen par le biais de ce que les procureurs appellent un «système» d’attribution de contrats d’assistants parlementaires à des personnes qui travaillaient principalement sur les opérations du parti plutôt que sur les affaires de l’Union européenne, en violation des règles de l’UE. Le système présumé s’est déroulé entre 2004 et 2016. Le quotidien en ligne Politico a détaillé l’enjeu de cette longue comparution dont Mme Le Pen, avocate, a fait un combat personnel puisqu’elle a promis d’être le plus souvent possible présente aux audiences.
Enjeux énormes
«Les enjeux sont énormes pour la triple candidate à l’élection présidentielle, argumente Politico. Si elle est reconnue coupable à l’issue des deux mois de procès, elle risque une peine maximale de 10 ans de prison, une peine d'inéligibilité, et une amende pouvant aller jusqu’à 1 million d’euros. Bien qu’une peine de prison de cette durée soit peu probable, le plus grave pour Marine Le Pen serait une interdiction de se présenter à des fonctions publiques pendant cinq ans, ce qui l’empêcherait de se présenter à l’élection présidentielle de 2027».
L’ironie du calendrier est que l’ouverture de ce procès très médiatisé, qui mettra le projecteur sur les pratiques financières du premier parti de France, fort du plus grand groupe à l’Assemblée nationale, intervient la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre Michel Barnier devant les députés. Or le sort politique du gouvernement Barnier, composé pour l’essentiel de personnalités de droite, dépend largement de l’attitude du RN.
Le RN incontournable
Si le parti national populiste dirigé par Marine Le Pen décidait de voter, dès mardi, la motion de censure présentée par la gauche, la fin de l’expérience Barnier serait immédiate. L’actuel gouvernement français tout juste formé devrait démissionner. Un risque qui va demeurer présent tout au long des cinq années de cette législature (sauf dissolution à partir de juillet 2025), puisqu'aucun camp ne dispose de la majorité absolue de 289 députés sur 577.
Sur le fond, ce procès ressemble à celui qu’avait dû affronter en octobre-novembre 2023 le Modem, le parti centriste dirigé par François Bayrou. A l’issue de plusieurs semaines d’audience durant lesquelles l’accusation affirmait l’existence d’un «système frauduleux dont le principe était, de 2005 à 2017, d’utiliser des fonds européens pour rémunérer les assistants parlementaires d’eurodéputés, qui travaillaient en réalité pour son parti en France», ce dernier avait été relaxé, tandis que huit de ses coaccusés avaient, eux, été condamnés.
François Bayrou relaxé
Plusieurs fois candidat à la présidentielle et toujours considéré comme intéressé par l’Élysée, comme Marine Le Pen, François Bayrou avait été relaxé au motif que «rien ne prouvait qu’il avait donné des instructions aux députés européens pour l’embauche d’assistants parlementaires ni qu’il avait connaissance de la non-exécution des contrats des assistants parlementaires litigieux». Le parquet a fait appel du jugement en février 2024 et un nouveau procès du Modem se profile.
Le cas de Marine Le Pen et du Front national est politiquement plus décisif. La cheffe du RN est en effet donnée quasi-favorite pour la présidentielle 2027, après la très forte progression de son parti national-populiste aux législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Les montants en question sont aussi très supérieurs à ceux en cause dans le procès du Modem. Les procureurs accusent le RN d’avoir profité des assistants parlementaires européens à hauteur de «plusieurs millions d’euros».
Jordan Bardella n’est pas jugé
Autre aspect très médiatique: d’autres personnalités de l’extrême droite française sont impliquées. Coaccusé, Jean-Marie Le Pen, en mauvaise santé, ne viendra pas. L’on retrouvera en revanche au tribunal Louis Aliot, le maire de Perpignan, dans le sud de la France, plus grande ville aujourd’hui gérée par le RN. Jordan Bardella, l’actuel président du parti, n’est en revanche pas jugé. Il n’avait pas encore été élu au Parlement européen et n’occupait pas de postes clés au sein du parti pendant la période en question.
Quels atouts judiciaires et politiques?
Deux mois durant, Marine Le Pen devra batailler. Avec quels atouts judiciaires? Avant tout, la dénonciation des contours flous de la législation, et l’affirmation selon laquelle les assistants parlementaires européens en question n’étaient pas utilisés pour des tâches exclusivement nationales. Du côté politique en revanche, sa stratégie est claire et elle explique largement sa volonté de participer au procès le plus possible. Le Rassemblement national espère en effet s’inspirer de l’exemple de l’ancien président américain Donald Trump, pour utiliser la procédure à son avantage.
Accusée sur la base de motifs discutables, et surtout victime politique alors que le pays a besoin d’elle et de son parti pour la stabilité gouvernementale: ses deux arguments, l’un publiquement assumé et l’autre distillé dans les médias, ont aussi rendez-vous à partir de ce lundi, à la 11e chambre du tribunal correctionnel, au Palais de justice de Paris.