Le mécanicien de la République française en panne est arrivé: il se nomme Michel Barnier. Présent devant les députés ce mardi 1er octobre pour son discours très attendu de politique générale, le Premier ministre français, 73 ans, a fait ce qu’il maîtrise à la perfection: expliquer à ses compatriotes que sa tâche est difficile, et qu’il aura besoin d’eux pour réussir à redresser le pays. Rien d’étonnant de la part de celui qui fut longtemps élu en Savoie, et qui a sans surprise fait plusieurs fois allusion à ses qualités de montagnard: savoir grimper les pentes pas à pas.
Finies, les grandes envolées à la Emmanuel Macron, ce président âgé de 45 ans qui se retrouve aujourd’hui cloîtré dans son palais présidentiel, en charge de son domaine réservé: défense et Affaires étrangères. «Écoute, Respect, Dialogue»: le chef du gouvernement, issu de la droite et à la tête d’un cabinet composé pour l’essentiel de ministres de centre droit et de droite, a martelé ses trois mots.
Barnier le démineur
Facile à décoder. A mi-chemin de son second mandat, et dans l’impossibilité de se représenter en mai 2027, Emmanuel Macron est devenu pour beaucoup de Français le symbole de l’arrogance et d’un pouvoir trop vertical. Barnier a donc déminé. Oui, sa porte sera ouverte aux partenaires sociaux. Oui, la réforme des retraites de 2023 pourra être remodelée, à coût égal pour la collectivité. Oui, le compromis sera mis en avant «parce qu’il n’est pas un gros mot». Et oui, les Français pourront donner leur point de vue, par exemple lors d’une «journée nationale de la concertation» destinée à recueillir leurs doléances.
Base parlementaire
Michel Barnier est de droite. Il l’a toujours été. Mais devant l’Assemblée au sein de laquelle sa «base parlementaire» actuelle ne dépasse pas 230 députés sur 577, deux de ses citations ont été empruntées à des personnalités de la gauche sociale-démocrate: Pierre Mendès France et Michel Rocard, à chaque fois pour faire l’éloge de la concertation. Un signal clair adressé aux socialistes qui ont prévu de déposer une motion de censure contre son gouvernement la semaine prochaine. Si celle-ci est votée par une majorité absolue de députés, soit au moins 289, grâce à la coalition des voix de l’extrême droite et de la gauche unie, l’expérience Barnier sera terminée avant d’avoir commencé. L’intéressé et son gouvernement devront démissionner.
La mécanique politique, l’ancien négociateur européen du Brexit la connaît par cœur. La sienne, celle qu’il maîtrise, consiste à ne pas faire dans l’excès, à rassurer, et à annoncer par avance que les conditions d’un redressement de la France seront compliquées. L’exposé de la première raison de son inquiétude n’a donc pas tardé. Dès le début de son discours prononcé dans un brouhaha de contestations de l’opposition, Michel Barnier a averti de son intention de «renoncer à l’argent magique, à l’illusion du tout gratuit à la tentation du tout subventions». En clair: la France n’a plus d’argent dans ses caisses.
Plus d'argent dans les caisses
Mais comment, alors, tenir les promesses d’une sécurité du quotidien renforcée, d’une augmentation du salaire minimum de 20%, et d’un soutien aux secteurs de l’éducation et de la santé, plusieurs fois cités? D’abord par de nouveaux impôts annoncés sur les grandes entreprises les plus prospères, et sur les Français les plus riches. Sauf qu’aucun chiffre n’a été cité. Le brouillard fiscal, pour l’heure, reste de mise alors que le débat sur le projet de budget pour 2025 doit commencer dans les prochains jours.
Pour le reste? La lutte contre les immigrés clandestins sera, sans surprise, à l’agenda du gouvernement qui fera tout, dixit Barnier, pour que les demandes d’asile soient gérées «à l’extérieur des frontières de l’Union européenne». Ce qui pourrait présager de futurs accords entre la France et des pays tiers, à l’image de ce que fait l’Italie de Giorgia Meloni. Pas de remise en cause de l’État de droit en revanche. Pas de brèche, non plus, dans les lois sociétales comme le mariage pour tous. La droite Barnier doit calmer l’extrême droite sans s’attirer les foudres de la gauche. Le «chemin est escarpé» comme l’a dit le Premier ministre.
L’originalité de la démarche de Michel Barnier n’est pas dans son propos. Rien de bien neuf. Elle est dans sa méthode. Il évoque, comme d'autres avant lui, la possibilité d'introduire le mode de scrutin proportionnel. Il demande à tous de l’humilité. Il envisage des baisses de dépenses publiques secteur par secteur, y compris dans des détails qui n’en sont pas, comme le déménagement de certaines administrations dans des quartiers moins onéreux. Les collectivités locales ont aussi été à l’honneur. Barnier compte sur les élus de terrain pour «tenir». Ce verbe, d’ailleurs, aurait pu résumer son discours. Tout va dépendre, en France, de la capacité du nouveau Premier ministre à tenir face à ceux qui préféreraient le voir chuter.
Grâce au bénévolat
Une grande absente enfin: l’économie réelle. Les entreprises. Les entrepreneurs. Bref, tous ceux qui forment le carburant économique d’un pays qui dépense trop. Michel Barnier ne s’est pas aventuré sur ce terrain, préférant parler de «compétitivité» et «d’attractivité». Logique. Le mécanicien Barnier est tout, sauf un libéral. Il a préféré parler de fraternité et faire référence à la réussite des Jeux olympiques, en partie grâce au bénévolat.
Dans le garage Barnier, la voiture France sera mieux entretenue. Peut-être réparée. Mais pas sûr qu’elle réussisse à avancer, et à rattraper, voire à doubler ses concurrentes européennes et internationales.