Bataille à gauche
Le PS français peut-il tuer (politiquement) Jean-Luc Mélenchon?

Le Parti socialiste français est-il encore un parti de gouvernement? C'est le pari du Premier ministre François Bayrou, qui est parvenu à dissocier enfin le PS de Jean-Luc Mélenchon. Le refus socialiste de voter la motion de censure a fait office de test.
Publié: 16.01.2025 à 14:14 heures
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Dernière mise à jour: 20.01.2025 à 14:14 heures
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Jean-Luc Mélenchon demeure, à 73 ans, l'homme fort de la gauche française, même si le PS cherche à s'émanciper.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est une lutte à mort. Entre Jean-Luc Mélenchon et son ancien parti, la bataille est programmée pour devenir féroce, et le premier affrontement a eu lieu ce jeudi 16 janvier à l’Assemblée nationale. Le Parti socialiste français a finalement décidé de ne pas voter la motion de censure déposée par La France Insoumise (LFI), le parti dirigé par Mélenchon, contre le gouvernement dirigé depuis le 13 décembre par le centriste François Bayrou.

En clair: le PS devait décider de voter, ou non, pour en finir avec ce Premier ministre centriste, qui lui a fait plusieurs concessions sociales. Résultat: 58 députés socialistes sur 66 se sont abstenus, tandis que huit d’entre eux ont voté avec la gauche radicale, les écologistes et les communistes. Un test sans conséquence, puisque le Rassemblement national (droite nationale populiste) avait par avance annoncé son intention de ne pas joindre les voix de ses députés à celle de l’opposition de gauche. Or seule une coalition allant de l’extrême droite à la gauche radicale peut atteindre la majorité absolue de 289 députés et faire tomber le gouvernement, comme cela a été le cas le 5 décembre, poussant l’ex-Premier ministre Michel Barnier à la démission.

Gauche divisée

Dans l’histoire de la gauche française, ce type d’affrontement est récurrent. Deux traditions se sont toujours opposées. La première est celle des réformistes, incarnées par le Parti socialiste. La seconde est révolutionnaire ou du moins radicale, incarnée par La France Insoumise (LFI). Le plus célèbre moment qui a marqué cette bataille, à gauche, a eu lieu en 1920 à Tours, lorsque les socialistes se sont divisés, ouvrant la voie au clivage Parti socialiste/Parti communiste. Mais depuis la fin de la guerre froide et l’écroulement de l’URSS, le parti communiste français a fait long feu. Il a perdu l’essentiel de son influence et de ses bastions politiques. C’est LFI, dirigé par le trotskiste Jean-Luc Mélenchon, ancien cadre du PS, qui a récupéré cet héritage contestataire, anticapitaliste, désireux toujours de miser sur la mobilisation populaire dans la rue pour obtenir davantage.

La situation de ce début d’année 2025 est à la fois caricaturale et décisive. Depuis les élections législatives du 30 juin et 7 juillet, un Nouveau Front Populaire réunissait en effet les partis de gauche, en référence au mythique Front populaire des années trente. Le Parti socialiste qui était au pouvoir entre 2012 et 2017 sous la présidence de François Hollande, a donc décidé de rompre cette alliance qui lui a pourtant valu de nombreux élus.

Ouvertures sociales

Sa ligne? Ne pas participer au gouvernement de François Bayrou – même si quelques-unes de ces ex-figures y sont, tel l’ex-Premier ministre PS Manuel Valls – mais miser sur des ouvertures sociales et sur la renégociation de l’emblématique réforme des retraites de 2023. A l’inverse, LFI incarne une ligne intransigeante, avec pour l’heure le soutien des écologistes. Son objectif est de faire tomber le gouvernement au plus vite, pour précipiter une crise politique pouvant conduire à la démission d’Emmanuel Macron. Et pour cause: Jean-Luc Mélenchon rêve d’une nouvelle candidature à l’élection présidentielle, après être arrivé troisième (de justesse) en 2022.

Le problème pour les socialistes est qu’ils ne représentent plus grand-chose. Leurs bastions électoraux ont quasi-disparus. Leurs 66 députés actuels n’ont pu être élus, lors des législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, que grâce à l’accord électoral conclu avec le reste de la gauche. Le PS Français est dès lors écartelé. Soit il reste dans l’opposition frontale à Emmanuel Macron et à François Bayrou, et sa réputation de parti de gouvernement capable de compromis va disparaître, ce qui lui vaudra la colère des électeurs de gauche modérés. Soit il accepte la main tendue de Bayrou, qui propose dès ce vendredi une conférence sociale pour renégocier la réforme des retraites de 2023, et il sera aussitôt diabolisé par LFI qui le présentera comme une fabrique de traîtres et préparera des candidats pour ravir ses sièges de députés aux prochaines législatives.

Ennemi numéro un

L’autre difficulté majeure, pour le PS français qui dirigea la France à plusieurs reprises sous les deux septennats de François Mitterrand (1981-1995) puis sous le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002), est qu’il manque de figure de proue dans un système français toujours très présidentiel.

Redevenu député de la Corrèze en 2024, l’ancien président François Hollande est très en retrait, marqué par son impopularité. Et personne d’autre ne semble aujourd’hui capable de rivaliser, sur le terrain électoral, avec l’incontournable Jean-Luc Mélenchon. «Méluche» est un tribun. Il est identifié à une gauche de combat, sans concession. Il a fait de l’électorat populaire musulman un socle solide. Il veut apparaître comme l’opposant le plus crédible à l’extrême droite. Il propose de surtaxer les riches et exige l’abrogation de la réforme des retraites qui a repoussé l’âge de départ à 64 ans. Bref, Mélenchon est l’ennemi numéro un du PS, ce parti dont il a juré la perte.

Course pour sa survie

Et maintenant? La décision de ne pas voter la censure – sans pour autant s’engager à ne pas le faire plus tard - donne une indication cruciale, à deux ans de la prochaine présidentielle de 2027. En laissant travailler le gouvernement, le PS français se lance dans une course semée d’obstacles pour sa propre survie. Il doit en effet absolument obtenir des résultats sociaux à brandir devant ses électeurs, ce qui semble très difficile dans l’actuelle période de crise budgétaire et d’endettement record de la France. Tuer Mélenchon, d’accord, mais comment et avec quelles armes?

La guerre politique que le Parti socialiste vient, ce 16 janvier, de décider d’ouvrir au sein de la gauche française sera sans merci. Pas sûr que celui-ci dispose des armes, et des combattants dans les urnes, pour la remporter.

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