Pourquoi est-ce que tout le monde parle de nouveau d'armes nucléaires?
Depuis le dynamitage du pont de Crimée, le président russe Vladimir Poutine est sur la défensive. Cette action - menée probablement par des Ukrainiens - montre qu'il n'est pas vraiment aux commandes en Crimée, territoire qu'il occupe pourtant. Sur la ligne de front également, la Russie encaisse défaite sur défaite.
C'est la raison pour laquelle les experts et les dirigeants occidentaux craignent de plus en plus que Poutine soit acculé au point de voir l'utilisation d'armes nucléaires tactiques comme la seule solution pour régler le conflit en Ukraine. Le président russe et ses conseillers ont déjà menacé plus ou moins ouvertement d'avoir recours à une telle éventualité. Cela attire évidemment toute l'attention de l'Occident.
Qu'est-ce qu'une arme nucléaire tactique?
Les armes nucléaires tactiques sont relativement petites et sont utilisées - comme les armes conventionnelles - pour combattre les forces armées adverses sur le champ de bataille. Leur rayon d'action et, en règle générale, leur puissance explosive sont nettement inférieurs à celle des armes stratégiques.
Les armes nucléaires stratégiques sont quant à elle beaucoup plus grandes. Elles ont été conçues pour ne pas être utilisées du tout, mais pour être suffisamment dissuasives pour que l'adversaire ait peur d'attaquer. C'est pourquoi on évoquait un «équilibre de la terreur» lors de l'impasse nucléaire entre l'Union soviétique et les Etats-Unis pendant la guerre froide.
Quelle est la probabilité de l'utilisation d'armes nucléaires en Ukraine?
Vendredi dernier, Poutine a de nouveau menacé d'une «catastrophe mondiale» si ses troupes rencontraient celles de l'OTAN. Le président américain Joe Biden, l'ancienne chancelière allemande Angela Merkel et le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg se sont montrés très inquiets. Toutefois, les experts assurent que Poutine use surtout de ses discours pour faire peur.
Au sein du Département de la défense suisse, on estime qu'une utilisation d'armes nucléaires tactiques reste improbable. Werner Salzmann, président de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats, est abonde: «Poutine n'a pas changé, il est et reste imprévisible. Néanmoins, selon nos informations, le risque d'utilisation d'armes nucléaires en Ukraine est actuellement faible.»
Comment l'Occident réagirait-il?
L'OTAN reste officiellement silencieuse à ce sujet, mais des voix importantes comme le président français Emmanuel Macron ou l'ancien chef de la CIA David Petraeus ont affirmé plus ou moins clairement qu'aucune partie ne répliquerait avec des armes nucléaires. Cela s'explique aussi par le fait que, de l'avis des experts, cela n'est pas nécessaire.
«Entre-temps, les armes conventionnelles de l'Occident sont devenues si sophistiquées qu'elles constituent une menace aussi importante que les seules armes nucléaires autrefois», explique l'ex-analyste de la CIA George Beebe au «Tages-Anzeiger».
Quelles seraient les conséquences pour la Suisse si des armes nucléaires étaient utilisées en Ukraine?
La souffrance humaine en Ukraine et l'impact symbolique serait énorme. Mais nous ne ressentirions pratiquement aucun effet en Suisse. L'effet des radiations serait très faible, selon le scientifique nucléaire Walter Rüegg: «S'il n'y a pas de vent, les particules redescendent dans un rayon d'environ deux kilomètres», assure-t-il à la NZZ.
En fonction de la force du vent, la zone dite de retombée peut atteindre un peu plus de 30 kilomètres. Après quelques jours, les produits de fission se seraient en grande partie désintégrés, selon l'ancien physicien en chef de l'armée suisse: «Je doute que nous puissions détecter ici la moindre trace de radioactivité avec nos instruments de mesure habituels.»
Quel est le danger d'avoir des centrales nucléaires présentes en zone de guerre?
Cela représente un plus grand danger que les armes nucléaires tactiques en elles-mêmes. La plus grande centrale nucléaire d'Europe, à Zaporijia, a encore subi cette semaine une panne d'électricité, entravant son processus pour refroidir le matériel nucléaire rayonnant. Werner Salzmann, spécialiste de la politique de sécurité, s'inquiète lui aussi «qu'un accident puisse se produire dans l'une des centrales nucléaires».
Quelles seraient les conséquences de l'explosion d'une centrale nucléaire?
Elles seraient plus importantes que lors de l'utilisation d'armes nucléaires tactiques. «Il s'agit ici de dimensions tout à fait différentes, explique le scientifique nucléaire Walter Rüegg. Tchernobyl a libéré environ 400 fois plus d'isotope radioactif césium-137 que la bombe d'Hiroshima.»
Mais même dans ce cas, la Suisse ne serait que marginalement touchée, comme le dit Andreas Bucher de l'Office fédéral de la protection de la population (OFPP): «Même en cas d'accident dans une centrale nucléaire, les effets dangereux pour la santé seraient gérables. La distance est tout simplement trop grande pour envisager de vraies conséquences sanitaires.»
Andreas Bucher rassure: «En cas d'accident dans une centrale nucléaire, la population ne devra pas se rendre dans des abris.» Ceux-ci seraient conçus pour un conflit armé en Suisse. «Au lieu de cela, un scénario comme celui de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl est envisageable. Certaines interdictions de récolte et de pâturage seraient par exemple possibles.»
Comment la Suisse est-elle préparée?
La Centrale nationale d'alarme surveille constamment la situation radiologique, en collaboration avec les autorités d'autres pays et des organisations internationales, comme l'explique Andreas Bucher. Comme aucune mesure majeure n'est nécessaire en cas d'incident nucléaire en Ukraine, il est avant tout important d'informer correctement. «Nous sommes préparés à cela», affirme le porte-parole.
Werner Salzmann affirme lui aussi que les autorités décisionnaires passent actuellement en revue différents scénarios. «Il s'agit premièrement de protéger la population, explique-t-il. Mais deuxièmement, il faut aussi prendre en compte le fait qu'un tel accident pourrait déclencher un mouvement migratoire plus important.» En effet, l'utilisation d'armes nucléaires - et a fortiori un accident de centrale nucléaire - pourrait provoquer un mouvement de fuite hors d'Ukraine encore plus conséquent que lors du début de la guerre.
Faut-il se préparer soi-même - par exemple en achetant des comprimés d'iode et en les prenant à titre prophylactique?
En aucun cas, répond Andreas Bucher: «Les comprimés d'iode sont prévus pour un accident de centrale nucléaire en Suisse et dans les environs.» Il lance un avertissement urgent: «Ne prenez pas de comprimés d'iode à titre préventif. Ceux-ci ne sont efficaces que si vous les prenez au bon moment.» C'est la Centrale nationale d'alarme qui ordonnerait à quel moment il faudrait les prendre le cas échéant.
(Adaptation par Lliana Doudot)