Mikhaïl Sergueïevitch Tsvintchouk est un blogueur militaire russe qui informe en permanence sur la guerre en Ukraine sur son canal Telegram «Rybar». L'homme de 32 ans connaît parfaitement le ministère russe de la Défense: après l'école militaire Suvorov, il a fréquenté l'université militaire et a travaillé au service de presse du ministère.
Le blogueur, dont les articles sont lus par près de 300'000 personnes, gère également des canaux en anglais, français et en allemand. Il veut désormais infiltrer l'Europe avec sa propagande. Selon l'Institute for the Study of War (ISW), il a ouvert jeudi une «école médiatique» dans les Balkans occidentaux. La semaine dernière, il aurait séjourné en Serbie ainsi qu'en Bosnie-Herzégovine. Il aurait tenu des conférences devant près de 500 personnes.
Lutter contre les «fake news»
L'objectif de la Rybar Media School: apprendre aux étudiants, aux journalistes, aux politiciens et aux universitaires comment créer et gérer des canaux Telegram et, bien sûr, comment diffuser des contenus «corrects» tout en luttant contre les «fake news».
Or, c'est précisément sur ce dernier point que le blogueur est lui-même passé maître. L'Ukraine l'a placé sur la liste des sanctions parce qu'il «propage la guerre, diffuse de la désinformation et soutient le régime de Poutine.» L'UE en a également fait de même.
La propagande du Kremlin
L'expert russe Fabian Burkhardt de l'Institut Leibniz de recherche sur l'Europe de l'Est et du Sud-Est à Ratisbonne (D) met en garde contre cette «école des médias». «Il ne s'agit pas d'un projet commercial ou d'une initiative privée. Tout indique qu'elle s'inscrit dans la stratégie russe d'influence à l'étranger par la désinformation et la propagande, et qu'elle est donc étroitement coordonnée par le Kremlin, le ministère de la Défense et les services secrets militaires.»
La Rybar Media School considère les territoires serbes comme le point d'appui occidental du «monde slave» et leur attribue un rôle important, poursuit Fabien Burkhardt. Reste à savoir quelle sera l'ampleur réelle de cette influence. L'expert fait toutefois remarquer que «la caisse de résonance potentielle des mesures d'influence russes en Serbie est considérable».
Les Serbes dérivent vers Moscou
C'est aussi l'avis de son collègue, l'historien et expert des Balkans Konrad Clewing, du même institut. «En Serbie, beaucoup de gens sont sensibles à l'influence russe, en partie par proximité historique et culturelle, en partie par une prétendue convergence d'intérêts avec la Russie ou dans les questions concernant les Serbes autour du Kosovo et de l'éventuelle sécession de la République serbe de Bosnie.» Le sentiment d'être injustement traité par l'Occident est également partagé.
Konrad Clewing n'exclut pas une nouvelle dérive de la Serbie «dans les eaux russes». Car la position de Belgrade s'est durcie, notamment en raison de l'admission prochaine du Kosovo au Conseil de l'Europe et du vote prévu début mai aux Nations unies sur une résolution commémorative du génocide de Srebrenica en 1995. D'un autre côté, Belgrade serait par ailleurs intéressée par de bonnes relations avec Bruxelles pour des raisons financières.
Poutine veut déstabiliser la région
Les deux chercheurs sont unanimes: la Russie de Poutine tente d'affaiblir l'Occident partout où cela lui est possible. «Du point de vue russe, il est utile pour cela de saper l'influence de l'UE et des Etats-Unis dans les Balkans occidentaux et de déstabiliser la région en s'appuyant sur des acteurs intra-régionaux comme la Serbie, la République serbe de Bosnie ou la Hongrie.»
Puisque ce conflit est de plus en plus conscientisé comme étant une guerre de l'information, la tentative d'expansion du blogueur russo-serbe et des services secrets n'est qu'une conséquence logique.