Le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, poursuit sans relâche ses opposants en Russie. Politiciens d'opposition et journalistes craignent pour leur vie sous la surveillance du régime qui n'a eu cesse de se renforcer depuis plusieurs années. Ils ne sont toutefois pas les seuls dans le viseur du président russe. Les physiciens sont, eux aussi, de plus en plus souvent emprisonnés – en particulier ceux qui se consacrent à la recherche sur les fusées.
Dernièrement, c'est Alexandre Kouranov, ancien concepteur en chef de l'Institut de recherche scientifique sur les systèmes hypersoniques (OJSC) qui en a fait les frais. L'homme de 76 ans a été condamné à sept ans de prison pour «haute trahison». Déjà avant lui, Anatoly Maslov, Alexandr Shiplyuk et Valery Zvegintsev avaient été condamnés en mai 2023 pour le même motif. Anatoly Maslov, en détention préventive depuis près de deux ans, a été victime d'une crise cardiaque en février.
Le monde entier chercherait à voler le savoir russe
Derrière la chasse aux physiciens, pour la plupart âgés, se cache le FSB, le service secret russe. «En règle générale, le FSB vient dans une institution scientifique et choisit une victime», a expliqué Evgueni Smirnov à CH Media, avocat au sein du groupe de défense des droits de l'homme «Première section». Les profils ciblés sont souvent ceux de scientifiques ayant eu des contacts avec des spécialistes à l'international. Un profilage des chercheurs entretenu par Poutine et le FSB qui cherche en fait à démontrer la supériorité scientifique russe dans le développement des missiles.
Ceux qui publient leurs travaux à l'international sont les boucs émissaires parfaits pour le Kremlin. Ils inspirent de la suspicion et sont arbitrairement pointés du doigt par les services secrets. Même si, d'une part, leur renommée permet à la Russie de briller sur la scène scientifique mondiale et que, d'autre part, leur domaine de recherche est éloigné du vrai développement d'armement. Les scientifiques sont alors accusés de divulguer des secrets sur les missiles russes à l'étranger. «L'objectif est de montrer que tous les pays du monde seraient à la recherche de ces missiles et que dans chaque institution scientifique se cacheraient de soi-disant espions.»
Anatoly Maslov, Alexandr Shiplyuk et Valery Zvegintsev s'étaient tous rendus auparavant à l'étranger pour le compte de la Russie. Et tous avaient participé, de près ou de loin, au développement du missile hypersonique «Kinchal» («poignard»). Le fait que l'Ukraine puisse détruire plusieurs de ces missiles n'a pas dû plaire à Poutine… qui s'est cherché des responsables.
Les services secrets n'ont pas besoin de preuves
Comme l'ont révélé les recherches de la BBC, douze physiciens au total ont été accusés de haute trahison en Russie ces dernières années. Evgueni Smirnov estime que le nombre de cas non recensés est bien plus élevé. Il affirme aussi que les arrestations sont signalées à Poutine. Le FSB étant impliqué, les cas sont traités comme «top secret» par les tribunaux. Les agents des services secrets n'ont pas besoin de preuves. En outre, dans les cas de trahison de l'Etat, il n'y a pas d'acquittement possible en Russie.
Ce sont généralement les mêmes juges qui sont sollicités pour les jugements. L'un d'entre eux est Andreï Souvorov. En octobre 2023, il a condamné à douze ans de prison le scientifique Anatoli Gubanov, qui travaillait sur le développement d'un avion hypersonique. Avant cela, Andreï Souvorov avait condamné à 19 ans de prison le critique du Kremlin Alexeï Navalny, mort entre-temps en détention.
En Russie, ceux qui se retrouvent en prison paient parfois leur incarcération de leur vie. C'est le cas de l'ancien collègue d'Anatoly Maslov, Dimitri Kolker. Il est mort l'été dernier en détention provisoire. En 2021, le physicien Viktor Kudryawtsev n'avait en outre pas survécu à sa détention. Il avait été accusé d'avoir transmis des informations secrètes à une organisation scientifique belge.